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Onfray mieux d’y réfléchir un peu


Commentaires , sur 8 ans, des interventions de Michel Onfray sur France Culture

vendredi 16 avril 2010,

Suite à un débat autour de la psychanalyse à la télévision hier soir (jeudi 15 avril 2010), à partir de livre de Michel Onfray (philosophe) : « Freud : le crépuscule d’une idole » et du « Livre noir de la psychanalyse », virulente critique des TCC contre la psychanalyse. J’ai éprouvé le besoin de pousser un coup de gueule

Moi, je trouve que ça valait la peine : pour voir à quel point les psychanalystes présents ne savaient pas se défendre. Moi, j’aurais été le bon peuple devant la télé, je donnais raisons sans coup férir à Onfray et aux autres.

Tout le monde n’avait que Freud à la bouche. Or, répondre sur Freud , même en disant qu’il y a eu d’autres psychanalystes depuis, comme l’a fait Alain de Mijola, c’était donner raison à ce que dénonçaient les détracteurs de la psychanalyse : que tout repose sur une idole, ce qui a été porté à la puissance 10 avec Lacan. Mijola concluait même là dessus : l’homme, il a pu avoir des faiblesses, ce qu’il nous reste, c’est sa pensée. Et lui, Mijola, il pense ? On dirait pas, même s’il écrit des best seller.

Non, ce qu’il nous reste, essentiellement, c’est sa méthode, pas sa pensée ! Sinon, ce ne serait qu’un philosophe parmi d’autres ! Ce qu’a défendu Onfray d’ailleurs : Freud est un philosophe parmi d’autres. Sa méthode, à Freud, je rappelle : on confie au rêveur le soin d’analyser ses propres rêves, au sujet d’analyser ses propres symptômes. Ce que j’aurais répondu à Onfray : vous dites que la psychanalyse s’applique seulement au « cas » de Freud, et que sa théorie n’est qu’une généralisation abusive. Eh bien faites l’expérience, et vous trouverez en vous même le complexe d’Œdipe et la castration. Ça a l’air de vous scandaliser que l’Œdipe, ce soit le désir sexuel pour la mère ; que ce ne peut être que la déviation d’un cas particulier, l’homme Freud ; rassurez vous sur un forum de psychanalyse, je n’arrive pas à faire entendre que la castration et le phallus féminin sont parmi les fondements de ce qu’on trouve dans l’inconscient. Vous n’êtes pas le seul à ne pas vous rendre compte, vous êtes la majorité. Mais puisque vous dites que la psychanalyse n’est pas scientifique (Mijola, et l’autre, là-dessus, Millet, pas moufté un mot !) : mais la science c’est ça, c’est retourner au laboratoire, c’est-à-dire sur le divan pour remettre en question ce qu’il y a dans les livres, refaire l’expérience soi-même. Tant qu’on ne débat que des livres, Freud ou pas, on est dans un débat entre philosophes ou entre religieux.

C’est là où le professeur belge était fort : il avait fait l’expérience, lui, il y avait cru, lui, en la psychanalyse, et il avait constaté ensuite dans une enquête scientifique que des gens étaient bien mieux après une TCC ! Pourquoi on ne le croirait pas ? Il peut bien n’avoir pas trouvé l’Œdipe dans son analyse, c’est bien son droit. Et d’autres peuvent bien n’accorder aucune foi au phallus féminin, à l’absence de représentation de la féminité dans l’inconscient ! C’est bien chacun sa croyance. Mais on peut en écouter quand même certains qui sur le divan, ont trouvé tout ça ! Et eux aussi, ils (elles) méritent d’être entendus ! Ça, ça vient direct du labo. C’est là où la psychanalyse est forte : ce n’est pas une science (pas d’universalité), mais c’est une science (chacun contribue à la forger au laboratoire du divan). La mathématique est entrée dans le XXème siècle en admettant le paradoxe : c’est là où c’est fort ! Et puis j’aurais répondu : le maître mot de la soirée c’était: ça guérit ou pas ? Ce sur quoi

insistait les « livres noirs », Onfray et même le journaliste : c’est ce qui intéresse le bon peuple qui, s’il veut guérir, a en effet meilleur temps de se diriger vers les TCC et autres EMDR : j’ai une amie qui pratique ça, elle obtient de résultats formidables en quelques séances. J’insiste, c’est une amie et je trouve qu’elle a raison de faire ce qu’elle fait. Je lui dis simplement, ce que je dis partout et que j’aurais dit à ces gens : mais, la psychanalyse n’est pas la médecine, donc elle ne guérit pas car elle ne s’attaque pas à des maladies et il n’y pas de patients, car ils ne sont pas malades. S’en tirer en disant, du bout des lèvres… oui, ça guérit, parfois, des petites névroses, c’est se foutre du monde. Il y a de très grandes détresses que la psychanalyse soulage (j’y inclus ce qu’ils appellent psychose grave, autisme…)… ça veut pas dire que ça guérit.

Mais tant que les analystes continueront à parler de leurs patients, de la guérison, des maladies, des catégories, névrose, psychose et perversion, j’en passe et des meilleures, évidemment, ils ne pourront pas empêcher le bon peuple de croire qu’il s’agit toujours de médecine. Tout simplement parce qu’en employant ces termes, ils montent qu’ils n’ont eux- mêmes pas franchi le pas, ils n’ont pas accompli la rupture épistémologique de la psychanalyse.

Il y avait un argument fondamental dans la bouche des TCC et surtout de ce prof belge qui avait été analyste : la doxa dit que lorsqu’un symptôme est guéri comme ça, par la suggestion, le comportement ou tout ce qu’on voudra, il réapparaît forcément. Et eux ils disent : mais non ça ne réapparaît pas ! C’est même mieux que ça : y’a plein d’autres symptômes qui disparaissent. Ça va de mieux en mieux !

Et pourquoi on ne les croirait pas ? Moi, je les crois. Ma copine qui pratique l’EMDR me dit la même chose, je la crois aussi. C’est parfait : ça laisse le choix aux gens. Freud a menti sur ses « cas » ? C’est possible ; mais sur lui, non (dans l’interprétation des rêves, dans l’analyse des actes manqués le concernant). Et ce prof belge je ne le soupçonne pas non plus de mentir sur lui et ses convictions acquises à travers une expérience. C’est toute la différence entre parler de « cas » et de parler de soi.

Mais, oui, Freud a aussi menti sur lui en faisant passer certaines analyses de lui-même pour des analyses de « cas ». Erreur qu’il faut reconnaître.

Et le choix de la psychanalyse, c’est autre chose. C’est faire le choix de chercher qui on est, quel but on a dans la vie, quelle voie choisir, qu’est-ce qu’on désire, qui on aime, pourquoi, etc : rien à voir avec la médecine, rien à voir avec la maladie, rien à voir avec la guérison. Alors, si on reste sur le terrain de la médecine, on est foutu d’avance. Même si on se réfugie dans le vocable « thérapie » : j’ai écrit comme ça une longue réponse à Olivier Grignon qui avait commis un truc défendant l’analyste comme thérapeute et réfutant la rupture épistémologique (sur le site du cercle freudien). La psychanalyse, c’est advenir comme sujet. C’est un peu plus exaltant que de se battre comme des chiffonniers autour de la guérison. Et le sujet c’est conflictuel. C’est pas seulement quelqu’un qui a un petit problème appelé « symptôme » dont il veut se débarrasser : ce symptôme est le témoin vivant du conflit et l’éradiquer, qu’il réapparaisse ou pas, c’est éradiquer une partie du sujet. En plus, il se trouve que ça soulage, la psychanalyse. Oui, j’ai obtenu des résultats moi aussi, pas toujours, pas tout le temps. Mais j’ai obtenu toujours et tout le temps ce résultat-là : les gens se connaissent mieux ; ils savent mieux se diriger dans la vie sachant qu’ils ne peuvent justement pas tout diriger. C’est pas une guérison, ça. A mon sens, c’est mille fois mieux : parfois, ça soulage bien plus que le symptôme pour lequel les gens sont venus, même si ça soulage… pas tout !

Si on ne trompe pas les gens sur la marchandise, les gens peuvent choisir : à condition qu’on sache leur expliquer ce qu’est la psychanalyse !

Vrai ou faux ?

D’un discours à l’autre sur la psychanalyse

vendredi 6 août 2010

Je suis très content de ce que Michel Onfray parle sur France culture. Etant d’un naturel paresseux, je n’aurais jamais trouvé l’énergie d’acheter son bouquin et surtout, de le lire. Avant de partir en vacances en faisant la cuisine, j’ai eu l’occasion de l’entendre. Au moins je vais savoir de quoi je cause quand je cause de lui.

Sous des dehors patelin et respectueux de l’adversaire, il cherche à donner l’impression de quelqu’un qui a lu Freud, ce qui montre à l’évidence à quelqu’un qui l’a lu que sa lecture était pour le moins tordue. D’avoir enquêté sur ses patients, il donne au public non averti l’impression de dévoiler quelques secrets bien gardés, alors que ce sont des secrets de polichinelle. Tous ceux qui ont un peu étudié la psychanalyse savent quel fût le destin de Dora et de l’homme aux loups. Pour ce dernier, en particulier, tout le monde s’accorde depuis longtemps pour dire que Freud a fait une erreur en demandant à la communauté analytique de lui offrir une rente à vie. Quant à l’homme aux rats, il a été tué pendant la grande guerre, et nul ne peut savoir quel aurait été son destin. Le président Schreber n’a jamais rencontré Freud, mais là aussi tout le monde s’accorde pour dire que son travail d’écriture, son autobiographie, c’est-à-dire quelque chose de proche d’une psychanalyse, lui a été salutaire.

Enfin sur le petit Hans, Michel Onfray a l’air sérieusement mal renseigné. Il semble n’avoir pas lu cette cauda ajoutée par Freud à son travail sur ce petit garçon, via son père, et dans lequel, rencontrant ce dernier devenu adulte, il put constater, à l’entendre, que celui-ci ne se souvenait même pas d’avoir fait une phobie quand il était enfant. Par ailleurs, nous savons que son ex-petit patient est devenu à Vienne un grand metteur en scène d’opéra. Une vie tout de même intéressante, certainement pas exempte de problèmes, comme toute vie, mais visiblement pas grevée par un symptôme qui était allé jusqu’à l’empêcher de sortir de chez lui. Ça, Michel Onfray, très prompt à dévoiler les cachoteries de Freud, oublie de le dire.

En ce qui concerne les 20 cm de gaze oubliés dans le nez de Dora (était-ce bien Dora ou est-ce que je confond avec un autre ?), oui, on peut le reprocher à Freud, mais pas au Freud psychanalyste : c’était le jeune Freud qui croyait encore aux théories de Fliess sur le rapport entre les organes génitaux et le nez. Là, il n’avait encore pas inventé la psychanalyse.

Je dois reconnaître à Michel Onfray de m’avoir apporté un élément que je ne connaissais pas : il parait que Freud aurait recommandé pendant longtemps l’usage d’un drôle d’appareil qu’on rentrait dans l’urètre pour se masturber avec… et ceci jusqu’en 1920, c’est-à- dire longtemps après l’invention de la psychanalyse, souligne notre pourfendeur de dogmes. N’ayant aucune lumière à ce sujet, si quelqu’un en avait, je lui serais gré de nous en apporter… a priori et vu comme ça, c’est une coquecigrue, et si ça se révèle vrai, on peut dénoncer avec Michel Onfray de tels errements du père de la psychanalyse.

Le tintin de la pensée contemporaine nous explique tout pendant qu’il a lui-même été une victime de la croyance en Freud et en la psychanalyse : il aurait été embobiné en quelque sorte, puisqu’il nous dit qu’il avait lu Freud en son jeune temps et l’avait enseigné. Ce qu’il nous raconte est ce qu’il appelle un déniaisement. Il nous explique que, croyant en la psychanalyse, il aurait négligé de lire des attaques telles que Le Livre noir de la psychanalyse. Et puis, par souci éthique, un jour quand même, il l’a lu. Eh bien nous dit-il, lisez le : c’est vrai.

Or, que nous dit-il de Freud et de la psychanalyse ? Si on en juge par les arguments portant sur les fausses guérisons, il dit vrai partiellement, mais sans dévoiler aucune information qui ne soit discutée de longue date par les psychanalystes, tout en dissimulant la réussite que fût le petit Hans. En ce qui concerne la méthode, voici ce que nous dit le Don Quichotte de la philosophie : la psychanalyse serait une thérapeutique et Freud serait un philosophe, deux éléments que je trouve personnellement contradictoire mais passons, ça se discute. En tant que thérapeutique, ce serait le dévoilement de la motion refoulée, c’est-à-dire la prise de conscience qui serait selon lui, le ressort de la psychanalyse, ce dévoilement étant assuré par l’interprétation du psychanalyste. Or, si cela a été vrai du jeune Freud, il est largement revenu là-dessus. On dirait que notre bénédictin moderne n’a jamais lu tous les articles dans lesquels Freud exprime sa prudence, voire son revirement à cet égard. Notamment dans l’article Des constructions en analyse, dans lequel il recommande de passer de l’interprétation aux constructions qui reprennent de larges pans de la vie d’un sujet au lieu de se focaliser sur un moment de lapsus ou de rêve. On dirait qu’il n’a jamais lu ce moment où Freud indique que ce qui compte n’est ni le dévoilement, ni la prise de conscience, mais le fait que l’intervention de l’analyste permette au sujet d’amener du nouveau matériel. On dirait qu’il n’a jamais lu ces passages fondamentaux de L’interprétation des rêves et de L’introduction à la psychanalyse, dans lesquels il dit que c’est à l’analysant qu’on confie l’interprétation. À sa décharge, je dois dire que je n’ai pas beaucoup vu de psychanalystes se référer à ces passages. A vrai dire aucun… mais bon, pour quelqu’un qui se targue d’être sorti de la vulgate pour se plonger dans les textes, on se demande avec quel équipements de préjugés il s’y est plongé. La vulgate répandue par les psychanalystes eux-mêmes ?

Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne sa façon d’avoir lu Freud, au niveau de ce qu’est la psychanalyse, notre mangeur de livres qui n’a jamais tâté du divan a tout faux. Cerise sur le gâteau, cette appréciation de Freud à la fin de sa vie : « la psychanalyse est plus une méthode d’exploration de l’inconscient qu’une entreprise thérapeutique ». Après avoir beaucoup insisté, il est vrai, sur l’aspect thérapeutique de la psychanalyse qui avait été longtemps son souci, c’est pour le moins une honnête reconnaissance de ce que la psychanalyse n’est pas la panacée que l’on dit qu’il aurait dite. Mais c’est bien plus que ça : en tant que méthode d’exploration de l’inconscient, c’est une entreprise dans laquelle un sujet se met au monde, ce qui n’est pas une panacée en effet, un sujet étant forcément divisé et donc obligé de se nantir de formations de compromis qui font que la guérison, si elle survient, ne le fait que de surcroit. Ce n’est pas un bémol, c’est au contraire la reconnaissance de ce que l’analyse est autre chose qu’une branche ratée de la médecine. Et donc, juger cette nouvelle discipline à l’aune thérapeutique est une erreur de champ, qui passe sous silence le fait qu’il peut être salutaire, pour un sujet, de confier son destin à d’autres mains que médicales, le but et les méthodes de la psychanalyse étant autre, tout en étant plus adaptés à ce que représente la lutte d’un sujet pour conquérir sa place dans le monde. Il ne s’agit pas d’éradiquer un bobo.

J’ai vu de grands auteurs bien plus connus que moi avaient déjà écrit d’impressionnants volumes contre Michel Onfray. Je ne les ai pas plus lus que l’auteur qui nous fait écrire ainsi, et je ne prétends pas apporter grand-chose, juste que c’est ma réaction personnelle à ce que j’ai personnellement perçu d’un conférencier entendu sur France Culture, qu’il faut remercier de nous donner l’occasion de l’écouter.

On trouve son livre dans le monoprix en bas de chez moi. C’est dire la popularité de l’homme. On n’y trouve par contre aucun ouvrage de psychanalyse pour contrebalancer, tandis que de nombreux psychanalyste s’expriment régulièrement sur la radio culturelle française. Nous sommes là devant un phénomène de société, où tout est jugé à l’aune de la médecine et du pouvoir thérapeutique, de cette dernière, nouvelle religion de masse. Comme disait Freud : on ne peut pas discuter avec un croyant. On peut lui laisser sa croyance, ce en quoi nous nous distinguons justement du champ religieux.

Je n’ai encore pas parlé de l’efficacité symbolique que notre bon rat de bibliothèque, qui a lu Lévi Strauss, reconnait volontiers. Oui, dit-il, la psychanalyse peut avoir un effet (il est tolérant l’homme, il se paie même le luxe d’être nuancé !). La psychanalyse a un effet dit- il, mais ce n’est rien d’autre qu’un effet placebo : autrement dit, ce n’est pas sérieux, quoi ! On sait en effet en quel mépris la médecine tient l’effet placebo. Ce n’est pas noble, ça ne fait pas vendre du médicament. C’est encore un indice de l’aune à laquelle est mesurée la psychanalyse. Eh bien oui, l’effet de la psychanalyse, c’est un effet placebo ! C’est dans le transfert que ça se passe, on ne cesse de le claironner depuis que Freud s’en est aperçu. C’est ça qui est formidable justement ! Et c’est à un psychanalyste, Michael Balint, qu’on doit la découverte de cet effet : il n’en était pas moins médecin, et des gens comme lui, à cheval sur les deux champs, peuvent être grandement remerciés. Qu’on puisse émarger à deux disciplines différentes n’autorise pas à les confondre.

Oui, la psychanalyse marche en tant qu’efficacité symbolique, au même titre que les TCC, l’EMDR, les médicaments psychiatriques et bien d’autres soi-disant nouveautés qui seraient censées renvoyer la psychanalyse à un passé poussiéreux. Ce sont toutes ces techniques dites nouvelles qui y sont, dans le passé, ne se rendant pas compte que, toutes, elles ne sont que des variantes de la mise en œuvre de la suggestion développée dans l’hypnose et remise au gout du jour dans le siècle des lumières par Messmer et son baquet. On doit à Freud d’avoir fait le pas de laisser tomber la facilité de la suggestion – qui présente en effet une certaine dose d’efficacité – pour se lancer dans la découverte des mécanismes à l’œuvre dans cette efficacité, soit : le transfert et l’inconscient. Or, entre la suggestion (soyez guéri !) et la psychanalyse (qui êtes-vous ?) il y a un abîme qui ne permet pas de confondre l’un avec l’autre, ni de mesurer l’un avec les valeurs de l’autre.

Richard Abibon.

lundi 9 août 2010

Science et pas-science

 Je viens d’entendre encore une conférence de Michel Onfray par hasard, sur France- Culture, cette fois en sortant le linge de la machine. Celle-ci était consacrée aux contradictions de Freud. Freud a dit ceci et puis il a dit le contraire ; c’est pas sérieux, hein ?

Pourtant je me rappelle que dans la première conférence que j’ai entendue, Michel Onfray disait : j’ai cru en la psychanalyse, je l’ai même enseignée. Alors ? je vous laisse conclure.

Après, on peut entrer dans l’examen concret de ces contradictions.

Exemple, dans certains textes, Freud dit (dixit Michel Onfray) qu’il faut payer pour être guéri, et plus on paie cher, plus on a intérêt à finir son analyse vite, pour que ça cesse de coûter. D’un autre côté, il dit : on peut parfaitement faire de l’analyse gratuite dans les dispensaires. Notre parangon de justice en déduit ce qu’il appelle le cynisme de Freud : pour que la psychanalyse soit efficace, il faut payer, donc venez à mon cabinet. Dans les dispensaires, si c’est inefficace, ce n’est pas mon problème. Ainsi traduit-il la pensée de Freud, en son langage. Or, il oublie encore une fois de dire que Freud avait répondu à la question : « pourquoi doit-on payer une analyse ? » par ce simple constat d’évidence : parce que l’analyste a besoin d’argent. C’est vrai de tout travailleur, il est simplement honnête de ne pas l’occulter. Maintenant, qu’il y ait dans certaines analyses (je ne dis pas dans toutes) des problèmes de dettes symboliques qui se règlent par là, c’est possible mais ce n’est pas une règle générale. Il y a toujours erreur à faire d’un procédé, utile en son temps, un dogme systématique. Mais il est vrai que la plupart des analystes exerçant en privé veillent beaucoup à ce que les gens paient le plus cher possible ; c’est de leur intérêt, mais quand ils en parlent, ils mettent surtout l’accent sur la dette symbolique, option que, perso, je conteste, faisant des prix adaptés aux revenus de chacun. L’essentiel de mon travail étant en dispensaire et gratuit, j’ai pu mesurer depuis des années à quel point il peut être erroné de systématiser cette affaire de dette symbolique. Justement : elle est symbolique, la dette !

Bref, je ne me fais pas une opinion sur ma pratique de la psychanalyse seulement à la lecture de Freud. Et ça, Freud lui-même le préconisait : qu’après lui, on invente.

Autre contradiction soulevée par notre logicien en herbe, la nature de l’inconscient : selon certains textes c’est du pur psychique, selon d’autres textes, c’est du neuronal. Pour cette dernière option, il fait allusion à « l’Esquisse pour une psychologie scientifique ». Or, il y a belle lurette, notamment grâce à Lacan, que nous avons appris une lecture possible de ce texte en termes de lettres et de signifiants. Oui, l’inconscient c’est du pur psychique, et Freud a mis du temps à s’en apercevoir. Oui, il s’est contredit, c’est-à-dire simplement qu’en avançant, comme notre maturant en philosophie, il a découvert autre chose… que pourtant on peut lire en filigrane, écrit à son insu dans ses premiers textes. Autrement dit, il y a quand même une cohérence au-delà de l’apparence de contradiction, à condition de ne pas lire les textes au pied de la lettre, mais, comme Lacan, d’en découvrir l’esprit.

Certes, Freud s’est pris à rêver un jour, au coin d’un texte, au jour où des médicaments pourraient régler tous les problèmes des névroses, rendant la psychanalyse inutile. Alors, nous dit notre pharmacologue en gestation, ça veut dire que Freud n’a pas perdu l’idée que l’inconscient était du pur physique, car, si une molécule peut guérir une névrose c’est bien qu’elle est purement physique. Ben là, il a raison. Aujourd’hui encore, on voit un jonglage incroyable entre médicaments et psychanalyse qui montre que les analystes d’aujourd’hui sont pris dans ce double langage. Personnellement je ne suis pas pour : oui, l’inconscient, c’est du pur psychique, c’est un effet du langage et de l’histoire de chaque sujet, c’est la source des névroses et des psychoses, ce n’est donc pas une molécule, quelle qu’elle soit, qui peut y apporter solution. Un sujet, le désir, ce n’est pas un effet de molécules, ce n’est pas un effet du trajet de l’influx nerveux dans les neurones. C’est ce que je lis dans toute l’œuvre de Freud, jusque dans son concept de pulsion assumé par lui comme somato-psychique, mais qu’il décrit, à son insu encore une fois, comme pur effet de grammaire (passif, actif, réflexif).

De là découle, toujours selon notre épistémologue improvisé, la contradiction entre science et non science : d’un côté « L’esquisse pour une psychologie scientifique », de l’autre, des hypothèses, des hypothèses dites hypothèse mais qui deviennent vérité dans les pages qui suivent, bref, un discours incohérent et contradictoire. Certes, il y a là une contradiction. Freud s’est toujours voulu scientifique, c’était l’idéologie de son époque et c’est toujours la notre. Il a donc tenté de faire science, notamment en ayant l’honnêteté de dire quand il pensait s’être trompé et quand il changeait de discours ; notre charcutier de la pensée contemporaine prend même pour preuve de contradiction l’existence des deux topiques, dans un discours qui semble dire : le bonhomme, il ne sait pas ce qu’il veut, il ne sait pas où il va. Or, ces deux topiques par leurs existences sont très riches et permettent de faire jouer de nombreuses nuances dans l’appréciation des phénomènes décrits. Elles ne témoignent pas de

contradiction, car elles s’imbriquent l’une dans l’autre comme la théorie newtonienne s’inscrit dans la théorie d’Einstein.

Il est vrai qu’il a fallu attendre Lacan – et encore, le Lacan tardif – pour comprendre ceci : la psychanalyse est science et pas-science en même temps. Car la psychanalyse est le lieu où se dévoile le paradoxe, source de l’inconscient : c’est la raison même de soutenir ce paradoxe au niveau épistémologique afin de situer correctement la psychanalyse. En ce sens, la psychanalyse rejoint ce qu’on avait appelé un temps la reine des sciences, les mathématiques. Car cette discipline a rencontré le même problème que la psychanalyse, à la même époque où Freud découvrait l’inconscient : le paradoxe que Russel, Whitehead et Hilbert, ont tenté d’éradiquer, au même titre que le jeune Freud tentait d’éradiquer le symptôme, fruit du paradoxe de l’inconscient.

Le théorème de Gödel est venu apporter un démenti cinglant aux puristes des mathématiques : on ne peut éradiquer le paradoxe. Ce n’est même pas un mal dont il faut s’accommoder, c’est une nécessité du système. Freud s’est retrouvé devant le même constat qui l’a amené à l’invention de la pulsion de mort. Avec Lacan nous savons à présent qu’il s’agit du symbolique lui-même c’est-à-dire du système, comme le système des mathématiques. Autrement dit, ce théorème, conjointement à la démarche de Freud, nous fait perdre l’illusion d’un monde parfait, et dénonce par avance les illusions entretenues par les « nouvelles thérapies ». Plus largement, il dénonce l’illusion d’une science qui serait « toute ». Même la science, au niveau des fondements et de ses limites, n’est « pas-toute ».

Cela, notre ignorant de l’histoire des mathématiques n’en souffle mot.

Enfin, un élément du discours de notre lecteur assidu des correspondances m’embête fort. J’avais lu le « Psychanalyse et occultisme » de Freud, dans lequel ce dernier se montre très prudent, examine les faits qu’il a été amené à connaître et en conclu que, en l’état des connaissances, il n’y a pas de raison de croire en la transmission de pensée, la télékinésie et autres coquecigrues. Ça me convenait, et puis, patatras, notre fouineur de première trouve dans la correspondance de Freud des lettres où il indique qu’il y croit, mais qu’il ne faut pas le dire en public. Eh bien, ça ne me va pas du tout ; là, s’il s’avère que Michel Onfray dit vrai, je ne suivrai pas Freud sur ce terrain là, pas plus que sur sa rêverie de médicaments miracles.

J’en ai autant au service de Lacan d’ailleurs, dont je reconnais l’apport fondamental qui fût le sien, mais que je conteste vigoureusement sur certains plans. On peut aussi s’autoriser à penser, non ? C’est la dimension non religieuse de la psychanalyse, qui fait que nous ne sommes pas là pour accepter un dogme en son entièreté, mais pour examiner, critiquer, argumenter, et avancer, avec le doute épistémologique pour guide permanent.

10 aout 2010

Comment ai-je pu oublier ? Il y a aussi cet inénarrable épisode sur la nature féminine… d’après notre chevalier de l’égalité, pour Freud, les femmes n’ont pas de pénis, vous vous rendez compte ? Et, conséquence qui nous est détaillée avec délices : la femme, pour Freud est inférieure à l’homme. Si, si, il l’a dit comme ça. Onfray, pas Freud. Il se trouve que, compte tenu de l’époque machiste à laquelle vivait Freud, on n’a pas vu plus ardent défenseur de la cause féminine à ce moment-là. Non par idéologie réformatrice, il ne mange pas de ce pain là, mais parce qu’il s’est bien aperçu que ces histoires de phallus et de castration, il s’en est aperçu le premier, ce sont des enfantillages. Mais d’un côté, ces enfantillages, s’ils s’accrochent, créant inhibitions, symptômes, et angoisses, d’un autre côté, lorsqu’on cesse de les dénier, ils permettent de se rendre compte que ce n’est nullement une question d’essence de l’homme et de la femme, mais de rapport inconscient. En tout cas, on doit à Freud quelques belles pages de défense et illustration de la cause féminine, notamment en faisant admettre à un monde ébahi que l’hystérie n’est pas qu’une affaire de femme.

Il me souvient ici d’une critique adressée cette fois par Luce Irigaray il y a déjà fort longtemps ( Speculum de l’autre femme ), dénonçant le machisme de Freud dans ce texte où il dit, selon Irigaray : « la femme est essentiellement masochiste ». Il suffit de se rendre au dit texte pour se rendre compte que Freud dit : « le masochisme est essentiellement féminin ». Et de donner en contexte des exemples masculins du dit masochisme. Masculin et féminin ne se confondent pas avec homme et femme : voilà une subtilité qui a échappé à bien des idéologues.

A propos de femmes, j’ai aussi oublié un autre point gênant. Autre contradiction souligné par notre défenseur des familles en détresses : d’un côté Freud recommande de ne pas accepter en analyse les membres de sa famille et ses proches, d’un autre, il psychanalyse sa propre fille. Oui, là non plus, ça le fait pas. Sur ce point, et sur ce point seulement, d’accord avec vous, Michel Onfray.

2011

09/08/2011

Les années passent et les étés reviennent, immuablement marqués par la présence envahissante de Michel Onfray sur France culture.

Je viens d’écouter Michel Onfray sur France culture ; encore une fois je suis épaté de la lecture qu’il fait de Freud, cette fois en comparaison avec la lecture qu’il fait de celle qu’en a faite Reich. Une lecture totalement tendancieuse qui fait de ses conférences une véritable tribune de désinformation. Ce que nous entendons revient à peu près à ceci : Freud est un bourgeois conservateur, pessimiste et antipathique, adversaire de tout progrès social. Il nous cite ces passages de Freud dans lesquels il est question de la nécessité du paiement pour alléger la dette symbolique du patient. Il est vrai que c’est repris à l’envi par les psychanalystes contemporains. Mais il oublie de citer cette première phrase de Freud, au moment de l’examen de ce thème : Freud, avec honnêteté, dit que, tout simplement, le psychanalyste doit se faire payer parce qu’il a besoin de vivre. Quand on travaille en privé, c’est ainsi. Qu’il y ait ajouté la question de la symbolique, c’est vrai, et c’est vrai aussi que c’est faux. J’y reviendrai, non sans avoir rappelé auparavant que Freud appelait de ses vœux la création de dispensaires où la collectivité prendrait en charge ceux qui ne peuvent se payer une analyse. Quand on y réfléchit, on se rend compte que c’est contradictoire : si le paiement est nécessaire à la guérison, comment penser l’efficacité analytique de tels dispensaires ? Freud s’était contenté de juxtaposer ses deux remarques contradictoires. Il n’avait, bien sûr, pas de solution. Et, ça c’est moi qui le dit, il avait peut-être compris l’impossibilité de se sortir parfois de la contradiction lorsqu’elle se présente. Mais Onfray en fait une prise de position anti progrès social visant à réserver la psychanalyse aux riches et à préserver l’ordre social.

Nous sommes aujourd’hui des milliers à pratiquer la psychanalyse dans de tels dispensaires, et si nous n’étions pas efficaces, je me demande qui viendrait nous consulter. Or nos consultations débordent. Tous les jours, j’ai des témoignages de gens qui me disent avoir besoin de leur séance et de s’en sortir nettement mieux avec cela, quoiqu’ils ne payent rien du tout. Forcément, ça, je peux le dire, car mon quotidien est assuré grâce au salaire que me verse la fonction publique. Je n’ai pas la nécessité de justifier des prix de séance exorbitants. Sur ce plan, Onfray a raison, mais ce sont plutôt ceux qui s’appuient sur ses réflexions et celles de

ses épigones qui tentent aujourd’hui de couper les ailes à la psychanalyse dans les dispensaires.

Quant au pessimisme de Freud qu’Onfray oppose à l’optimisme de Reich, il le fait reposer sur la pulsion de mort. Concept terriblement mal compris, par de nombreux psychanalystes ; on peut donc en faire difficilement le grief à Onfray. C’est là qu’on voit qu’il suffit d’un iota dans la lecture d’un texte pour l’entendre de l’oreille gauche ou de l’oreille droite surtout si on considère que tout est politique. Ce qui donc, rend sourd. Selon Onfray, la pulsion de mort est un concept biologique, c’est inscrit dans le vivant, dans les cellules, dit-il même, et le projet du vivant, c’est de retourner à la mort. C’est en partie vrai que Freud l’a écrit, sauf que lorsque Freud amène ce concept, c’est à la suite d’un triple constat clinique qu’il expose en tête de son texte, ce que Michel Onfray oublie de citer. Il ne cite que le développement que Freud opère après ce constat et que le père de la psychanalyse met bien sous le registre de la pure spéculation. Il ne dit pas comme ça, de manière affirmative : c’est dans les cellules. Ça, c’est la lecture d’Onfray. Il ajoute que c’est là dessus que Reich s’insurge, et semble partager la révolte de ce dernier.

Or, il y a une tout autre lecture possible de Freud, en lui laissant ses spéculations, puisqu’il les a posées ainsi, mais en s’appuyant sur son triple constat clinique qui, lui, est incontournable et que la moindre pratique, de nos jours, confirme avec éclat. Cette lecture est celle de Lacan : la pulsion de mort n’a rien à voir avec le biologique, puisqu’il s’agit du symbolique quand il est muet. Je parle du jeu du fort-da qui à aucun moment ne vient dans le discours de Michel Onfray. Il n’y a pas besoin de s’insurger contre Freud pour cela. Il suffit d’en proposer une autre lecture.

Michel Onfray reproche ainsi à Freud son pessimisme envers les grandes luttes sociales de son temps, en accentuant son caractère bourgeois et conservateur. Il oublie de dire que ce pessimisme allait tout autant à l’encontre des régimes autoritaires. Il faut se rappeler son texte essentiel sur la psychologie des foules. Celles-ci, pour Freud, sont aussi bien de droite que de gauche. Il ne s’intéresse qu’au mécanisme et il constate qu’il est bien le même partout, dans son analogie avec l’hypnose : le suivisme aveugle d’un leader, et les conséquences destructives que ça peut prendre. Ça n’empêche pas Michel Onfray d’asséner : Freud soutien les régimes autoritaires. Et le bon peuple d’applaudir : Onfray met en œuvre. Mais alors pourquoi les nazis brûlaient-ils les livres de Freud ? Mais alors que voulait donc la gestapo à ce vieil homme, en 1938 ? Il n’y a échappé que de justesse, grâce à l’intervention conjuguée et appuyée de Marie Bonaparte et des ambassadeurs français et américains.

Autre argument d’Onfray (je ne vais pas tous les aborder) il critique la clientèle de Freud, composée seulement de riches qui ont les moyens de se payer une analyse. Freud ne connait pas les pauvres, dit-il. De plus, ajoute-t-il, Freud est un homme du passé qui ne s’intéresse qu’au passé, vivant entouré de statuettes égyptiennes. Onfray en déduit une fascination de Freud pour la mort. C’est un peu vite dit. Moi, je dis, par exemple : une fascination pour les mythes, car ils correspondent à ce que Freud entend sur son divan. Donc à un actuel qui donne argument pour l’existence d’invariants structuraux, ce que critique vivement Onfray, enfourchant la critique de Reich qui, lui, est un homme qui s’intéresserait à l’histoire contemporaine. Ainsi fait-il de Freud un homme de cabinet et un rat de bibliothèque qui ne voit pas ce qui se passe dehors.

Mais que fait Onfray lui-même ? Toute sa critique est purement littéraire. Il ne s’appuie sur aucune pratique autre que celle des livres. Hélas, la plupart des psychanalystes contemporains tombent aussi sous le coup de cette critique. Il nous dit, pour faire une psychanalyse, il faut certes d’abord être riche mais aussi être cultivé et pouvoir ainsi se référer à Sophocle et à Shakespeare, comme Freud et ses patients. C’est un reproche lourdement asséné par d’autres adversaires de la psychanalyse qui proposent des méthodes corporelles diverses et variées. Or, je peux témoigner d’une pratique, et dans cette pratique, d’avoir

toujours eu une certaine propension à faire prévaloir l’expérience du terrain à celle de mes lectures. Cette expérience, 34 ans en dispensaire, m’a mis en présence de foules d’ouvriers, de femme de chambres, de petits commerçants, de chômeurs de longue durée, et enfin de dits- autistes ne disposant même pas de ce bagage essentiel, le moindre trognon de parole. Je peux dire avoir retrouvé partout la fameuse structure, Œdipe et castration, à condition de l’abstraire avec un peu de topologie. J’en déduis – oui c’est une déduction pas un postulat a priori issu de mes lectures- à une indépendance de cette structure par rapport à l’histoire, à la géographie, à la classe sociale et aux moyens financiers.

Et je ne dis pas qu’il faut le prendre comme un dogme immuable. Ça se discute, car il faut se méfier de tout « dernier mot » sur un sujet de la même façon que des « grands principes ». Je dis juste qu’il y a une furieuse aversion d’Onfray pour Freud, pour qu’il fasse ainsi valoir systématiquement un côté du personnage sur un autre.

Encore un mot sur une assertion d’Onfray qui m’a fait bondir : Freud aurait, dans toute son œuvre, combattu vigoureusement l’homosexualité, le droit au bonheur, la libération sexuelle, le principe de plaisir. Je n’ai jamais lu Freud ainsi sur aucun de ces points.

Le principe de plaisir : pour Onfray, Freud aurait dit : il faut le sacrifier au nom du principe de réalité. Moi, j’ai lu que Freud s’était rendu compte que tout sujet s’aperçoit qu’il faut parfois, pour parvenir au plaisir, accepter le détour par un principe de réalité. C’est pas du tout la même chose, c’est même le contraire. Il est vrai que lorsqu’on entend le discours de certains psychanalystes contemporains sur la jouissance, qui semble un principe à combattre absolument, on ne peut pas lui donner totalement tort.

Sur la libération sexuelle, il m’a toujours semblé lire dans Freud qu’il trouvait les mœurs de son temps trop rigides, mais qu’il était pessimiste sur une libération totale, car le refoulement, s’il est un effet de la civilisation, est surtout le produit de pulsions contradictoires, issues de cette structure, Œdipe et castration. Nous avons maintenant le recul pour le constater : dans une certaine mesure, la libération sexuelle a eu lieu et elle n’a pas libéré l’humanité de ses névroses, elle n’a fait que déplacer le problème.

En ce qui concerne l’homosexualité, Onfray pense avoir lu qu’il s’agissait d’une fixation à un stade antérieur à la castration, ce que Freud nommerait perversion et aurait donc combattu vigoureusement. Il oublie encore une fois l’essentiel : que Freud a ajouté que tout enfant était un pervers polymorphe et que l’inconscient était l’infantile en nous. Je ne vois pas au nom de quoi il aurait combattu quoi que ce soit, si ce n’est à sortir la psychanalyse d’une vision du monde, en la laissant autant que possible dans une neutralité bienveillante.

La progression du discours d’Onfray, toujours calme, toujours truffé de citations, apparemment hyper documenté, se refusant à tout extrémisme, contribue à dissimuler dans sa forme, le fait de tous ces oublis que j’ai été obligé de réparer afin de remettre un peu les pendules à l’heure. Mon travail n’est ici que minuscule par rapport à tout ce qu’il faudrait faire pour répondre à Michel Onfray ; malheureusement ma voix est si petite, par rapport aux portes voix dont il dispose. Au moins aurais-je réagis dans ma petite mesure…

13/08/2011

Je ne vais pas me fendre d’un nouvel article à chaque conférence de Michel Onfray. Juste quelques éléments issus des deux dernières. L’une d’elle était consacrée à la critique faite par Reich à l’égard de « Totem et tabou ». Je ne vais pas reprendre une à une les 12 « remarques » soigneusement égrenées, car toute l’argumentation tient à prendre le mythe freudien pour une réalité et à la critiquer au nom de la réalité. Il agit ainsi de la même manière qu’à l’égard de la pulsion de mort en la prenant pour une réalité biologique alors que Freud la posait comme pure spéculation. En effet, Freud pose son histoire de meurtre primitif du père clairement comme un mythe, c’est-à-dire une histoire purement inventée mais reflétant la

structure de la société humaine, non seulement en fonction de ce qu’apporte l’anthropologie mais aussi la psychanalyse. La critique avancée par Reich consiste à dire : Freud pose que la société originaire est patriarcale, or, c’est faux, nous savons qu’elle a été matriarcale. D’abord ça se discute, ensuite ça n’a aucune importance puisqu’il ne s’agit pas de paléontologie, mais de mythe. Autre argument : Freud pose cette horde comme unique. Or il est clair qu’il y a eu plusieurs peuplades humaines éparpillées un peu partout ; le meurtre du père n’a pu se produire partout ni partout à l’identique. D’abord ça se discute aussi, ensuite même chose : on vous parle d’une horde MYTHIQUE, pas de la réalité de ce que furent les premiers hommes. Et ainsi de suite : le banquet cannibale et sa succession, la consommation des animaux du sacrifice et du corps du christ ne concernent pas le meurtre du père : les hommes avaient faim et avaient besoin des animaux pour se nourrir, donc l’animal devient un dieu parce qu’il nourrit.

Ce qui est posé sur le plan du fantasme (un mythe est un fantasme collectivement partagé) est dénoncé avec des arguments historiques et économiques.

C’est le même débat qu’entre créationnistes et évolutionnistes. Les créationnistes croient à la réalité d’un mythe et les évolutionnistes leur répondent qu’ils ont tort au nom de la réalité historique. On n’est pas sur le même plan mais on croit y être, d’où un malentendu fondamental.

Ceci dit on retrouve la même chose encore au sein des psychanalystes : il y en a pour dire encore, au nom d’un féminisme de bon aloi : cette histoire de castration, c’est des coquecigrues freudiennes ; nous, nous dépassons le roc de la castration nous allons plus loin : enfin ! La femme n’a pas de pénis, mais elle a un sexe féminin tout à fait bien formé donc nous voyons bien que les thèses freudiennes ne sont que des bêtises issues de son milieu bourgeois et de son époque. C’est exactement l’argumentation de Reich. C’est l’argument des gens qui n’ont pas pu faire la différence entre le fantasme et la réalité et qui, dans ce cadre, ne veulent rien entendre du fantasme.

Ceci dit à la fin de sa dernière conférence de vendredi j’ai noté chez Michel Onfray un certain athéisme de bon aloi. Il nous rappelle l’étymologie de « païen » : ça viendrait de pagan qui viendrait de « paysan ». Le païen, c’est le paysan qui interprète la nature en voyant des dieux partout. Peu m’importe la justesse de l’étymologie, je trouve que ça présente quelque bon sens. La culture, nous dit-il, elle vient de là, elle vient de l’agriculture, qui est en effet au fondement des civilisations. On cesse de voir la réalité comme elle est, mais on l’interprète, on en fait des représentations : ça, c’est tout simplement le passage au langage (c’est moi qui ajoute, là). Mais c’est utile, parce que c’est aussi comme ça qu’on a fini par comprendre que pour que la terre produise, il faut l’ensemencer et y amener de l’eau, d’où politique d’économie des semences et techniques d’irrigations. Avec toute la mythique sexuelle qu’on pourra y ajouter ou qui l’aura précédée, ça je n’en sais rien (ça aussi, c’est moi qui ajoute).

Or nous dit Michel Onfray tout change avec les monothéismes : la culture cesse d’être agriculture, mais culture du livre. On passe sa vie à interpréter, non plus la nature, mais le livre.

Eh bien, c’est surtout cela qu’il combat en combattant la psychanalyse : c’est qu’elle est devenue une religion dogmatique du livre. C’est pourquoi il attaque le Livre, l’œuvre de Freud. Et là, il a raison, non de s’attaquer au Livre, mais de ce qu’on en a fait. Au lieu de s’intéresser à la « nature » (ici je fais bien entendu une métaphore) c’est-à-dire ce qui se passe dans l’inconscient, on s’intéresse uniquement à interpréter et réinterpréter l’œuvre du Maitre, ou des maitres qui l’ont suivi. D’une manière générale, les argumentations ne puisent que dans les livres. Une exception : la psychanalyse anglo-saxonne, à la suite de Mélanie Klein.

Alors, Michel Onfray attaque la psychanalyse avec une mauvaise argumentation, allant de la vie intime de Freud dont il dénonce un certain amoralisme, à la « réalité » comme

contrevenant aux thèses freudiennes. Il dénonce le fond sans se placer sur le plan de ce fond, au nom de la forme, sur lequel il a raison puisqu’en effet, il y a eu dogmatisation et mise en religion de la psychanalyse.

C’est pourquoi il y a intérêt à l’écouter et à comprendre son argumentation pour mieux la dénoncer au lieu de vouloir lui interdire la parole comme le souhaiterait certains… au nom de l’anathème sans doute ?

2017

21 juil. 17

Revoilà Michel Onfray, comme tous les étés sur France culture. Comme tous les étés, je l’écoute, car il m’intéresse. Je ne prends pas tout, je ne prends même qu’un peu, mais même lorsque je ne suis pas d’accord avec lui, ce qu’il a amen être d’idées m’a contraint à la réflexion.

Sa réflexion sur le cosmos suit un fil que l’on pourrait trouver contestable mais s’avère fructueux. Ce fil c’est la question du spécisme, pendant élargi du racisme. si ce dernier, c’est considérer qu’il y a des races inférieures, les spécisme, c’est envisager qu’il Ya une espèce supérieur, la notre bien entendu. Morale vegan ou new age ? C’est bien plus profond que ça car ça permet d’interroger la position de l’homme dans la cosmos.

Au nom de quoi se sentirait il supérieur ? Eh bien par exemple, parce que c’est dit dans le bible en toutes lettres : l’homme a le droit de tuer les animaux, de les asservir d’en faire absolument ce qu’il veut. Ça interroge donc la croyance, ce à quoi on se réfère come guide de conduite et finalement, à questionner à la fois la morale et la croyance. Cela l’a amené à exhumer un brave abbé des Ardennes, l’abbé Meslier, qui, bien avant Voltaire et Rousseau, propose les premières pensées athéistes du monde occidental. Bien sûr, il n’avait pas publié de son vivant il n’était pas fou et n’avait pas envie de finir sur le bucher. Mais il avait envoyé des copies de son manuscrit ici et là, chez des personnes de confiance, ce qui fait que son œuvre nous est parvenue. Formidable découverte dont il faut savoir gré à Michel Onfray.

Or chez qui puise l’abbé Meslier ? Abondamment, chez Montaigne, que j’affectionne particulièrement, car, comme philosophe il s’appuie essentiellement sur la pratique de lui même plutôt que sur l’infinie consultation des bibliothèques : « je suis moi même la matière de mon livre » écrit-il a début des « Essais », ce que j’aurais pu inscrire au fronton de chacun des mes livres. C’est ainsi que, en analysant je m’appuie sur la pratique de moi-même. Bref l’abbé Mélier est quelqu’un qui a lui aussi creusé le sillon de la question du spécisme, montrant en quoi les animaux sont semblables à nous, deux siècles avant Darwin, mais allant même plus loin que Darwin, qui avait conservé la croyance en dieu. Darwin est l’un des pivots du basculement de l’idée que l’homme serait un être à part, fabriqué de toutes pièces par un dieu dans un environnement conçu pour lui.

Ce n’est donc pas rien, ce fil de réflexion.

Quant il le suit pas à pas, remontant les filiations, de Darwin à Voltaire et Rousseau, puis à Descartes et ses animaux machines, puis à l’abbé Meslier et à Montaigne, Michel Onfay est passionnant.

En revanche, en ouverture de son propos, il avait sorti quelques propos contradictoires, voire d’une naïveté confondante sur la place de l’homme par rapport à la nature (autre version du : « par rapport au cosmos »). Nous aurions perdu le contact avec la nature et ce serait très dommage, dit-il. Ah, les anguilles savent le chemin de la mer des Sargasses, ah, tel papillon peut sentir la femelle jusqu’à 60 kms ! Voilà, ça du contact avec la nature. Nous aurions perdus de telles capacités. Pourtant il remarque bien que nous en avons gagné d’autres et ceci Freud à l’appui : il cite le refoulement urinaire par lequel en passant de 4 pattes à deux pattes nous avons décollé le nez du sol, et remplacé l’olfaction par la vision. Il cite Freud quand ça

l’arrange. Bon moi aussi, ça c’est pas grave. Enfin, quand même, son discours est empli d’une grande déploration à l’égard de ces pertes sensorielles.

Mais il y a pire. Regardez les Tziganes, et les peuples dits « primitifs » : voilà des gens qui sont restés branchés sur la nature (et pour leur plus grand bien, selon lui !). Les tziganes sont restés nomades parce que toute l’herbe autour du camp a été mangée par les chevaux, parce que tout ce qu’il y avait à chasser ou a pécher a été chassé et pécher. Il faut aller voir ailleurs. De nos jours ? il rigole !!! Tels peuple d’Amérique du sud qu’il est allé rencontré, eh bien ils sont en contact direct avec la nature : tel arbre, c’est tel esprit et c’est pour ça qu’il faut le respecter, il ne faut pas pécher en telle saison parce que tel esprit n’est pas d’accord et c’est très juste car c’est la saison où les poissons se reproduisent. Quelle merveilleuse sagesse naturelle !

Mais justement : tout cela indique que la nature, y compris chez ces peuples, a été complètement culturalisée. Entre la nature et les hommes il y a les esprits, les ancêtres, les traditions. Rien n’est directement « naturel », toute la nature « parle », ou plutôt : les humains la font parler, chacun à leur manière. Quelque part, notre façon de considérer la nature à travers la science est peut-être bien plus naturelle, car, lorsque nous parlons des molécules et des atomes, ces entités existent, on peut les voir et en faire quelque chose, alors que les esprits, ben…Mais non, il y a chez Michel Onfray une détestation quasi heideggérienne de la civilisation et de la technique, qui l’empêche de voir que les peuples dits primitifs ont d’autres médiations qui font tout autant écran (ou pont) entre la nature et les humains.

D’ailleurs il présente une critique du christianisme au sens où il aurait apporté une mécanisation du rapport au temps, avec les cloches des clochers, qui disent l’heure de la prière, du lever, du manger, du coucher. Avant qu’est-ce que c’était mieux ! On mangeait quand on avait faim, on se couchait quand on avait sommeil ! On était proche de sa propre nature.

Non mais, quelle bêtise ! C’est même pas vrai : depuis que l’homme est homme, il ritualise ses rapports avec la nature, il codifie les moindres gestes de la vie quotidienne, peut- être pas avec l’angélus, mais avec autre chose, spécifique de chaque culture.

Ça ne l’empêche pas quelques minutes après, de s’extasier devant la symbolique de certaines églises qui s’ouvrent sur le levant donc la lumière, donc la nature.

Bon, Michel Onfray a des contradictions, moi aussi.

26-juil.-17

Outre un propos qui continue globalement de m’intéresser, Michel Onfray continue d’avoir des naïvetés apparemment guidées par une anti occidentalisme d’ailleurs assez à la mode, y compris chez ceux qui le détestent. Il compare les monothéismes et les polythéismes, indiquant que les premiers contiennent dans leur essence l’intolérance à qui ne pense pas pareil, tandis que les seconds ne présenteraient aucun problème : quand il y a plusieurs dieux, en ajouter un, ça ne change rien. Par exemple, dit-il, dans la Grèce antique, en plus des autels dressés à chacun des dieux de l’Olympe on trouvait un autel aux dieux inconnus. Comme ça dit-il, on était sûr de n’en oublier aucun. Ce serait là où Saint Paul aurait dit, arrivant en Grèce : voilà l’autel du seul vrai dieu.

Alors, c’est vrai : la polythéisme indien a parfaitement digéré l’arrivée de Bouddha, qui au départ n’est qu’un sage, mais qu’on a eu vite de diviniser en l’ajoutant à la longue liste du panthéon indien. Même chose pour la Chine et le Japon.

Est-ce pour cela que ces peuples sont moins intolérants ? Il suffit de se rappeler la persécution des chrétiens au Japon au 17ème siècle, qui a été d’une rare violence, justement pour maintenir un système polythéiste ; de ne pas oublier les massacres perpétrés par les

hindouistes à l’égard des musulmans… et réciproquement ; de se remémorer, dans l’occident romain d’avant la triomphe du christianisme, les persécutions dont les chrétiens furent victimes après l’incendie de Rome qu’on leur a attribué à tort.

Et puis, l’intolérance qui ne se porte pas toujours sur ceux qui ne pensent pas pareil : elle se reporte de toute façon sur les femmes qui, évidemment, ne pensent jamais pareil que les hommes. Il suffit de voir le sort réservé aux femmes dans ces traditions : aux Indes, l’interdiction absolue de toute sexualité hors mariage, l’épouse brulée vive avec le corps de son mari défunt, les défigurations à l’acide pour les femmes qui ont eu quelques petites velléités de liberté (encore de nos jours) ; en Chine, la concubine assassinée en toute impunité lorsqu’elle cesse de plaire, la mutilation des petits pieds ; en Afrique, l’excision.

L’argumentation partielle ne fait mouche que de sa partialité. Les religions ont toutes fait preuve, peu ou prou, d’intolérance et de cruauté. Polythéisme ou pas. Même les bouddhistes, souvent admirés par les occidentaux pour leur pacifisme, se montrent de nos jours totalement intolérant à l’égard des musulmans auxquels ils font la guerre en Birmanie et qu’ils persécutent au Sri Lanka.

Aujourd’hui, même retour de l’anti-occidentalisme primaire, cette fois spécifié en anticatholicisme: la carte de la tauromachie dans le monde recouvre celle des pays catholiques. Il n’y a pas de tauromachie dans les pays protestants ni dans les contrées orthodoxes, ni en terre d’Islam. Cela s’appuie, dit-il, sur la façon dont la foi catholique a choisi pour emblème celle d’un torturé, le christ en croix. Il opère un démontage de la pensée catholique qui serait dans le refus de la vie, de la sexualité et dans l’éloge de la souffrance et de la mort avec pour emblème secondaire Bataille et Leyris, qui seraient le gant retourné du catholicisme. La souffrance et la mort d’autrui seraient ainsi transformées en spectacle jouissif.

C’est pas faux.

Mais est-ce que ça empêche le sadisme des autres peuples non catholiques ? Ils ne pratiquent sans doute pas la tauromachie, ils n’ont sans doute pas pour emblème un torturé mais ont su inventer, chacun avec beaucoup d’ingéniosité, des moyens de jouir de la souffrance d’autrui sur des échelles tout aussi conséquentes. Pas de tauromachie dans les pays anglo-saxons, certes, mais l’élevage industriel et la mise à mort de masse des animaux, comme partout, sauf peut être dans certaines régions indiennes où on est végétarien depuis des siècles. Pour ce qui est du traitement des humains, il me suffit de rappeler les exemples que j’ai déjà cités plus haut. Je pourrais y ajouter les jeux du cirque à Rome bien avant les persécutions des chrétiens, les sacrifices de masse perpétrés par les Mayas et les Aztèques, le poteau de torture des indiens d’Amérique, où il s’agissait de faire le plus mal possible le plus longtemps possible avant la mort du sujet, l’esclavage que les africains ont pratiqué sur d’autres africains, les exactions de Daesh, etc.

Bref, il ne fait pas autre chose que retourner l’ethnocentrisme comme un gant pour en faire une détestation de la civilisation dans laquelle il a baigné.

Qu’on se rassure : je ne suis pas là pour défendre l’occident, le catholicisme et tout ça. Je souhaite simplement montrer comment cette haine de nos racines n’est pas plus lucide que l’auto-admiration béate qui avait présidé à la colonisation, l’inquisition et tant d’autres excès.

Ceci dit, je réitère : il a attiré mon attention sur bien des problèmes que pose la consommation de viande et les spectacles tauromachiques, toutes choses que j’ai tendance à oublier avec le temps, bien que j’y ai été sensible bien avant ses interpellations. L’angle d’attaque du rapport des humains avec la « nature », donc avec les animaux, les végétaux, et le cosmos, s’avère fructueux comme chemin de réflexion. Oui, il fait bien de rappeler l’emblème que s’est choisie l’église catholique, elle signifie bien la place de la souffrance dans la culture qu’elle a informée, la souffrance comme nécessaire et rédemptrice. Ça ne veut juste pas dire que quand on n’a pas un tel emblème, on n’a pas de rapport avec la violence et

la cruauté et, en un mot, à ce qui est à la source de tout ça, quelle que soit la religion et la culture, la division de l’humanité en deux sexes imaginée comme castration. Mais ça, c’est pas son problème, il l’a rejeté en bloc.

2-août-17

Je me permets de critiquer Michel Onfray dans pas mal de ses positions. Je ne vois pas pourquoi je ne le louangerais pas lorsque je trouve qu’il est bon, au contraire de ceux qui le rejettent en bloc au prétexte qu’il a dégommé Freud et quelques autres grands penseurs contemporains.

En nous parlant du christianisme comme religion de la lumière en continuité avec les autres religions et même avec le savoir des hommes préhistoriques sur les montées et descentes de la lumière en fonction des saisons, il réalise une excellente déconstruction du mythe. Paradoxalement, il le fait en démontrant comment on construit un mythe par collage de diverses histoires qui trainent dans toutes les religions. Cela rejoint les études que j’ai personnellement réalisées sur la comparaison des mythes orientaux, indiens et chinois, tandis que Michel Onfray prend ses exemples dans les mythes occidentaux, grecs, juifs, chrétiens zoroastriens, et inuits.

On retrouve partout la même structure, la cause est entendue.

J’y apprends par exemple qu’on attribue à Esculape des résurrections, que Platon et Pythagore ont été aussi plus ou moins divinisés par certains de leurs suiveurs qui leur ont attribué aussi des capacités miraculeuses (guérir des malades, marcher sur l’eau etc). Il rappelle que le fait pour un dieu de s’incarner n’est pas une chose nouvelle, puisqu’elle ne cessait de se produire dans les mythes grecs, avec, par exemple, les métamorphoses de Jupiter. Quant à moi, je repense aux avatars de Krishna, dont certains présentent les mêmes caractéristiques que celles de la vie de Jésus : le dieu s’incarne pour libérer les hommes d’une tyrannie et, à sa naissance, le tyran, informé par des devins, fait massacrer tous les enfants de la contrée.

Tout cela relativise l’importance d’une religion par rapport à une autre et met l’accent sur la commune humanité de tous.

Parmi les questions du public qui ont suivi, l’une d’elle portait sur le féminisme. J’ai trouvé sa réponse pleine de bon sens. Réclamer l’égalité des hommes et des femmes ne consiste pas à nier l’anatomie. De même que réclamer l’égalité des blancs et des noirs ne consiste pas à nier la couleur.

J’étais récemment dans une réunion de psychanalyse où j’avais bien du mal à faire entendre qu’il y avait une différence entre la pensée consciente dans laquelle ont peut faire jouer la raison, et donc réclamer cette égalité légitime, et l’inconscient, qui regroupe justement toutes les pensées « politiquement incorrectes » dont on ne veut pas. La pensée du négatif semblait impossible : ainsi, pour un handicapé, m’a-t-on argumenté, ce n’est pas qu’il a quelque chose en moins, c’est qu’il est différent. De même pour les hommes et les femmes.

Ben oui, mais non, ce n’est pas la même chose. Nier qu’il manque un bras à quelqu’un à qui il manque un bras, c’est faire peu de cas de la réalité. C’est rentrer dans un fantasme égalitariste qui n’est que ce qu’il est : pur fantasme. Par contre, qu’on fasse le maximum pour que les handicapés aient leur place dans la société oui, bien sûr. ça se fera d’autant mieux si on ne nie pas leur handicap à coup d’euphémismes, type : les malvoyants, les malentendants, les personnes de petites tailles, les personnes avec autisme etc.

Appliquer cette logique aux femmes me semble d’emblée à la fois une erreur et la continuation de ce qu’elle pense dénoncer. On veut être sympa avec les femmes, alors on dit : bon, ce n’est pas qu’il leur manque quelque chose, c’est qu’elles sont différentes.

Évidemment qu’il leur manque rien ! Leur anatomie est parfaitement constituée. Mais si on éprouve cet ardent besoin d’être sympa, par exemple en imposant la parité, c’est qu’on a posé à la base, plus ou moins, que, quand même, il manque quelque chose. Si on ressent cette impérieuse nécessité de ne voir que richesse dans la différence, c’est peut-être bien que cette angélique positivité est un peu forcée par un déni de la négativité.

Cette positivité despotique, elle pourrait bien être la partie émergée de l’iceberg, la conscience luttant contre la pensée inconsciente de la négativité, du manque et, en un mot comme en cent : de l’angoisse de castration. Ce n’est pas du handicap, c’est de la différence ; ce n’est pas du manque, c’est une contribution à la richesse de la culture. Ce qui revient à dire : il n’y a pas de castration.

Or, il n’y a pas de castration, c’est absolument vrai…dans la réalité. Mais toutes ces précautions sont les indices de son existence dans les souterrains de l’inconscient, c’est-à- dire… dans l’imaginaire, dont la force est d’autant plus grande qu’elle s’impose dans son travail de symbolisation de la différence des sexes, à l’œuvre depuis l’enfance et jamais stoppée par les connaissances anatomiques acquises par la suite.

Cela, c’est moi qui le dit, pas Michel Onfray. Ça n’empêche que je me trouve assez proche de ses positions qui sont du côté de la non négation de la différence…néanmoins vécue dans la dénégation comme un défaut.

Une formule circule tout partout dans le milieu analytique, qui ravit tout le monde et spécialement les femmes : « le phallus, personne ne l’a ». C’est une façon assez radicale de refaire de l’égalité en coupant tout ce qui dépasse. Or, le phallus, je l’ai, et je crois bien que tous mes confrères masculins aussi. Le problème n’est pas qu’on ne l’a pas, mais qu’on passe son temps à craindre de le perdre tandis que les femmes passent leur temps à essayer d’en gagner un. Dans mes rêves, je ne cesse de courir après parce que je l’ai perdu, oublié, ou qu’on me l’a volé, sous la forme d’un cartable, d’un portefeuille, d’un vélo, d’une somme d’argent, d’une guitare, etc. Or, les femmes que j’écoute rêvent exactement des mêmes choses : de ce côté là, l’égalité est parfaitement rétablie, et en effet, non dans la positivité (vive la différence !), mais dans la négativité (y’a comme un défaut…).

Évidemment qui ne rêve pas, ou ne prête pas attention à ses rêves, trouvera ces formulations complétement dingues. J’ai entendu récemment : « moi, je n’ai jamais pensé que j’étais une femme parce qu’on me l’avait coupé ». Ben voui mais, moi non plus je n’avais jamais pensé que je pouvais perdre mon zizi, ou que je l’avais oublié dans le ventre de ma mère, jusqu’à ce que mes rêves ne me le révèlent. Il y a même fallu quelques dizaines d’années, étant donné le peu d’intérêt de mes analystes pour les rêves, formaté qu’ils ont été par la doxa lacanienne.

Est-ce dire que personne ne l’a, le phallus ? Si on veut, sauf que, consciemment, je sais quand même que je l’ai, tandis que les femmes savent quand même qu’elles ne l’ont pas et que ça change quand même la problématique au moment du heurt entre le conscient et l’inconscient…quand bien même le conscient s’insurge contre cette position consciente en raisonnant : allons, les femmes ne manquent de rien ! Le premier conscient est soutenu par la raison, la science, l’anatomie, tandis que le second est soutenu par l’inconscient, l’imaginaire, et l’anatomie, aussi !

L’autre formule qui circule partout comme un mantra, c’est : il ne faut pas confondre le pénis et le phallus. Oui, le pénis serait l’organe des garçons et le phallus, le symbole imaginaire de la puissance et de l’engendrement. Le pénis n’est pas là chez les filles, mais elles ont un utérus. Par contre, le phallus est là chez les filles dans la mesure ou tout le monde dénie l’absence de pénis, et le phallus est ce truc que les garçons ont toujours peur de perdre, et à la poursuite duquel tout le monde se lance.

Oui, sauf que cet effort pour faire la distinction entre les deux, s’il peut marcher théoriquement, dans la pratique, il se heurte à la force de l’inconscient qui plaque sans cesse

sur le dit pénis les caractéristiques du phallus…jusque dans les efforts théoriques où ils aboutissent à des formules telles que « le phallus, personne ne l’a ».

16 août. 17

Cette semaine les deux facettes de Michel Onfray sur France-cul :

– le puant, dès qu’il parle de Freud

– l‘intelligent, dans son parcours de l’histoire de l’art en rapport avec le christianisme.

1) La première facette m’épate d’autant plus que, comme je l’ai souligné, il lui arrive de citer Freud en annexe d’un autre propos, et à l’appui de celui-ci. Il lui arrive aussi de donner des explications sur le développement humain que Freud n’aurai pas renié : l’influence des parents, comment les idées viennent aux enfants etc.

Mais là, il a donné dans le raccourci saisissant. Gide est un pédophile, dit-il. Il aime tripoter les petits garçons. Or, Gide entend parler de la psychanalyse, discipline dans laquelle on dit que les enfants ont une sexualité. Donc Gide prend appui sur la psychanalyse pour dire : si les enfants ont une sexualité alors, allons-y, pas de problème. Et là, inversion formidable de la cause et de la conséquence : la psychanalyse soutient la pédophilie.

Les bras m’en tombent, comme disait la Vénus de Milo.

Je me suis en effet heurté à cette formidable incompréhension de la part des parents d’enfants dits autistes réunis en association. Attention, cette dernière précision est importante, car elle témoigne de l’idéologie de groupe, ce qui se passe dans n’importe quel groupe, quel qu’il soit, y compris les groupes de psychanalystes, sauf que ce n’est pas la même. En revanche, lorsque je travaillais avec des parents de dits autistes, donc pas en groupe mais entendus pour ce qu’ils sont de singuliers, ça c’est souvent bien passé. Je dis « souvent » parce que, c’est comme tout, ça ne marche pas à 100%. Bref, les parents en question ayant lu dans mes ouvrages consacrés à l’autisme, que je parlais de sexualité, se sont mis à m’insulter grave et à me soupçonner de pédophilie ; j’ai même eu droit à une dénonciation auprès de la préfecture de la Seine Saint-Denis, dénonciation que je dois, et c’est le comble du comble, non pas l’un de ces parents, mais à une collègue « psychanalyste » qui avait lu mes bouquins à travers ses préjugés ! Elle non plus ne devait pas supporter l’idée que l’on puisse parler de sexualité infantile ! La psychanalyse, c’est comme la Samaritaine, on y trouve de tout.

Bref, constater que les enfants se touchent eux-mêmes le zizi lors du change et font preuve d’une curiosité extraordinaire à l’égard de celui des grands, c’est à laisser de côté. Circuler, y‘a rien à voir. Mais ce n’est pas parce qu’on voit et qu’on en parle qu’on est tout de suite pédophile ! On essaie de faire quelque chose avec un phénomène, on tente d’en trouver une explication. On la trouve volontiers dans les rêves des grands, puisque l’inconscient, qui s’exprime dans les rêves, c’est l’infantile en nous. Et non l’inverse, ce dans quoi se précipitent nos indignés du bulbe : vous projetez votre sexualité d’adulte sur les enfants. S’il y a projection, je ne nie pas que ça puisse arriver, eh bien, autant se donner les moyens d’être à même de s’en apercevoir.

Bon, continuons de ne pas en discuter, restons dans les indignations et ça va faire vachement progresser la question.

Je pense au contraire qu’il est très important d’avoir repéré ces phénomènes, spécialement si on s’occupe d’enfants, de façon à savoir répondre « non » à une sollicitation enfantine, quand par exemple au cours d’un jeu, comme par hasard, comme ça, ils vous tombent dessus avec une main sur le zizi. Savoir dire non, mais pas tout de suite menacer des flammes de l’enfer, ce qui est la position la plus commune, à côté du « faire comme si » ça

n’avait pas existé. Être capable de mettre des paroles là dessus, d’expliquer un peu comment ça marche, d’expliquer ce qui est permis et ce qui est interdit. C’est loin d’être évident, et il vaut mieux avoir fait un parcours dans son inconscient afin de trouver les mots qui conviennent et qui ne sont pas forcément les mêmes pour tout le monde, ni en toutes circonstances.

Bref, il y a là chez Michel Onfray, un retour à la pensée commune la plus chargée de bêtise. C’est une des raison de son succès : le refoulement a ses nécessités et s’il peut s’appuyer sur un grand intellectuel médiatisé, c’est tout bon. En retour, le grand intellectuel médiatisé joue sur du velours : il va dans le sens du refoulement, ce qui caresse les gens dans le sens du poil. Haro sur la pédophilie : le plus grand nombre ne peut que se trouver d’accord avec ça.

2) Ce n’est pas ce qui m’empêche d’apprécier l’autre facette de Michel Onfray. Son parcours de l’histoire de l’art en rapport avec le christianisme, le choix de ne pas interdire les icônes, l’émergence du nom de l’artiste, la disparition du sens corollaire à la disparition de l’image, jusqu’à l’acte fondamental de Marcel Duchamp, tout cela est finement disséqué et raconté avec verve. Bien sûr, il ne voit jamais la sexualité dans les tableaux religieux, mais ça, c’est ma spécialité. Ce n’est pas grave. Je me contente de prendre ce qu’il m’apporte, et, là, il m’apporte beaucoup.

Justement, cela lui donne incidemment l’occasion de faire une comparaison entre le christianisme et la psychanalyse. Il s’attaque à l’existence même de Jésus comme personnage historique, se rangeant du côté de ceux qui apportent des éléments à l’idée de la construction d’un mythe. Je le trouve même assez sympathique dans sa façon d’enrober les choses : il comprend que ça fasse du mal aux croyants, il s’en excuse, il n’a pas envie de faire du mal. Et je le crois. Et il embraye en disant : c’est pareil lorsque j’ai démonté Freud, pour beaucoup de gens, c’était comme si un monde s’effondrait.

Parallèle intéressant qui mérite qu’on s’y attarde un peu. Le rejeter a priori parce qu’on a des a priori pour la psychanalyse et qu’Onfray démonte la psychanalyse, c’est rester dans la religion. Car la psychanalyse a tendance à fonctionner comme une religion, j’ai eu l’occasion de m‘en apercevoir à ma grande surprise, moi qui était dedans. Ça m’a pris des années, mais j’ai bien été obligé de me rendre compte qu’il ne fallait pas attaquer certaines croyances circulant dans le milieu. Je n’ai pas démonté Lacan en l’attaquant sur le terrain de sa privée, mais là où cette vie privée rejoignait sa pratique d’analyste. Je disais que recevoir les gens 5 minutes à des tarifs prohibitifs, se servir des gens, coucher avec les analysantes, ce n’était pas très compatible avec toute une année passée à étudier l’éthique… et tout le reste. Dans ce registre, il n’y a d’ailleurs pas que Lacan à incriminer.

Mais je n’avais même pas commencé par là. J’avais débuté par la topologie où, puisqu’il s’agit de mathématique, on peut quand même s’expliquer par des démonstrations. Le refus dogmatique d’entendre les miennes m’avait quand même bien surpris. Lacan a dit que la bande de Moebius n’avait qu’une torsion, donc elle n’a qu’une torsion. Le miroir n’inverse pas la droite et la gauche. La surface d’empan du nœud borroméen ne se découpe pas comme il dit mais, aucune importance, on continue à la découper comme il le dit. De là à découvrir, dans d’autres domaines, une foule de contradictions et d’incohérences dans son enseignement, ça vous passe l’envie de rentrer là dedans comme on rentre dans une secte. Le pompon est peut-être à attribuer à ces deux répliques que l’on m’avait faites au Salon Œdipe où j’étais reçu pour mon dernier livre : si je parle de mes rêves, allons donc, je ne parle pas de moi, c’est du roman. Et quand Freud le faisait ? Ah ben, Freud, c’est pas pareil. Par contre, lorsque Lacan parle de philosophie et de mathématiques tout au long de son enseignement, là, il parle de lui, lui, au moins ! Il est analysant ! et on en vient à cette idée totalement ahurissante qui s’est largement répandue dans le milieu : parler de théorie, c’est cela, être analysant !

Bref, on est capable de marcher sur la tête pour justifier toutes les paroles du Maître.

Eh oui, mais, comme Michel Onfray, je comprends bien : des tas de gens ont construit leur vie là dessus, sur une croyance et sur l’admiration d’un grand homme. Avec mes critiques, c’est comme si je leur retirais l’ossature de leur existence. Ils le refusent, car ils ne veulent pas s’effondrer, et là dessus, ils ont bien raison. Les gens ont besoin de croyances, et lorsqu’ils se les ont forgées, ils en sont pétris au point qu’elles font partie de leur image du corps. C’est vrai pour Jésus, Bouddha, Mahomet, aussi bien que pour Freud et Lacan. Donc, moi aussi je pourrais dire : ça me fait un peu mal de faire du mal, ce n’est pas mon but.

Mais je n’ai pas trop de souci à me faire. Une croyance ne se démonte que de l’intérieur, par un travail personnel sur sa propre structuration psychique et sur la place qu’occupe l’appartenance à un groupe, à une idéologie, une religion. La fourniture de formules toutes faites est parfois bien utile pour se positionner par rapport aux autres, surtout si l’on se sent soutenu par la masse de ceux qui partagent les mêmes formules toutes faites. Trouver une parole personnelle reste une des tâches les plus ardues de l’humaine condition car, de son statut même, elle va à l’encontre du groupe.

On l’a vu, je n’ai pas rejeté la psychanalyse, comme certains déçus du freudisme et du lacanisme mis en avant par Sophie Robert (voir son films : « Les désenchantés de la psychanalyse »). Bien au contraire, c’est ce qui m’a permis de l’approfondir… non, pas les réflexions de Michel Onfray, mais les miennes propres, issues de mon exploration de l’inconscient , des textes psychanalytiques et de mon expérience.

Néanmoins les réflexions de Michel Onfray sur l’invention du christianisme à travers une étude des productions artistiques apporte pas mal d’eau à mon moulin. À un moment de l’histoire souligne t il, on a décidé d’autoriser les images. C’est une des raisons du succès du christianisme : les artistes ont représenté dieu, Jésus, Marie, la passion, les anges : comment ne pas croire à ce qu’ l’on voyait dans les églises ! Tout le monde se retrouvait dans ces images qui véhiculaient un « sens commun ». Le surgissement du nom de l’artiste au 16ème siècle, va de pair avec l’abandon des sujets exclusivement religieux. Un point de vue singulier sur le monde devient possible jusqu’à culminer dans le geste de Marcel Duchamp avec son ready made. C’est cela, le performatif de la langue, dit Michel Onfray : ceci est une œuvre d’art parce que j’ai dit que c’était une œuvre d’art. Tout comme le maire dit : « je vous déclare mari et femme ». Tout comme le prêtre dit d’un morceau de pain, au moment de l’eucharistie : « ceci est le corps du christ ». Mais avec Duchamp, c’est seulement un sujet œuvrant de son usage de la langue, dans sa singularité la plus absolue.

Nous sommes là à une réflexion charnière pour la psychanalyse dont la pratique consiste à user de la langue pour se débarrasser des « tu es ceci », et parvenir à s’accoucher soi-même d’un « je suis cela ». D’où mon insistance à prêcher contre les diagnostics en psychanalyse, qui continuent d’imposer le « tu es ceci » dans lequel il faut bien entendre le « tuer ». Cela fait partie des dogmes les plus répandus dans une discipline qui, pourtant, s’est instituée en rupture d’avec médecine et psychiatrie. Dans ce parcours, il s’agit autant de se dégager des définitions des autres, notamment de celles des parents, des enseignants, des maîtres, des grands anciens auxquels on croit, mais aussi de l’impératif même du performatif : ce n’est pas toujours parce qu’on dit d’une chose ce qu’elle est que cette chose devient ce qu’on en a dit. « Ceci est le corps du christ », « cet enfant est autiste », etc. Un peu de souplesse à l’égard du langage, voilà l’un des résultats et non des moindres, de la psychanalyse. « Les mots ne mordent pas », comme j’ai souvent eu l’occasion de le faire remarquer à quelque analysant.

Yeshaya Dalsace est croyant : il défend sa croyance, quoi de plus naturel ? Perso je ne m’avance pas sur le terrain du savoir. Untel aurait raison parce qu’il sait mieux que l’autre

parce qu’il aurait plus lu, mieux lu, lu autrement. Chacun fait son tri de lectures en fonction de ses croyances, et chacun lit avec ses lunettes de croyant ou d’athée. Pourquoi irais-je dire : ah non, Onfray dit ceci à partir de tel auteur et le rabbin dit cela à partir de tel autre auteur donc c’est Untel qui a raison pour telle ou telle raison très savante… je n’ai lu ni les uns ni les autres, et , franchement ça ne m’intéresse pas.

Jouer à qui va en savoir le plus… voyez à quoi cela peut faire penser !

Quand Onfray dit que Jésus n’a pas existé, ça m’intéresse, parce que pour moi Jésus est un mythe, qu’il ait existé ou non dans la réalité, ce dont je ne discuterai pas. Je ne suis ni religieux, ni historien, ni archéologue, ni philosophe, alors je n’ai aucune compétence en la matière. Mais des mythes il y en a partout et il y en a eu à toutes les époques y compris la notre. Sur les mythologies, j’ai quelques compétences, notamment sur les miennes propres.

Il y a un mythe que je connais bien et dont on ne peut contester l’existence historique : Lacan. Ça ne change rien au fait qu’il ait été mythifié. Il y a une réalité du mythe dans la façon dont il a informé la réalité elle-même, telle que vécue par des milliers de gens. Comme pour Jésus ou Moïse, les croyants vont s’indigner d’entendre cela et apporter d’innombrables preuves très savantes allant dans le sens de leurs croyances. Là, je peux débattre, car j’ai lu, j’ai pratiqué la psychanalyse, j’ai les éléments pour. Je répète : j’ai lu et pratiqué, ce qui est très différent d’avoir seulement lu, et de plus, j’ai parlé de ma pratique. Car, pratiquer et n’en jamais parler, ça revient à rendre la pratique caduque dans l’usage de la théorie, qui n’est plus que dogme. J’ai cru, et j’ai cessé de croire, grâce, en grande partie à la pratique et la pratique du discours sur la pratique. Je peux l’argumenter, sans espoir aucun de convaincre, bien entendu. Juste pour le plaisir de l’échange, du moins quand je ne me fais pas insulter et virer, ce qui est arrivé assez souvent, finalement. On a d’ailleurs lancé à mon égard l’épithète d’anathème ce qui énonce bien l’ambiance religieuse du débat, à l’appui de mon propos sur le mythe.

Dans les autres disciplines, je suis obligé de confesser mon ignorance et de m’en tenir à ce que je ne peux pas évacuer non plus chez moi : mes croyances. Celles-là, j’en ai fait le tour, ayant exploré bien à fond leurs fondations inconscientes. Car c’est toujours là que ça se tient, dans l’inconscient, bien plus que dans tous les savoirs du monde, qui sont conscients.

C’est pourquoi j’ai insisté sur le versant de la pratique qui, à mon sens, pourrait constituer un critère distinctif entre une religion et une science. Je m’en suis déjà beaucoup expliqué, je tiens la psychanalyse pour une science et une pas-science, en même temps. C’est un paradoxe épistémologique qui reflète les paradoxes dont l’inconscient est fait.

23-août-17

Onfray, épisode 276.

Aujourd’hui, « une éthique sans morale ». Il nous propose un catalogue de choses à faire et à ne pas faire. Il prévient : ce n’est pas une morale. Une fois avoir tout entendu, ben si, c’est une morale, pas de doute. Comme chez les psychanalystes, lorsqu’il disent avoir un éthique, et que celle-ci finit par se résumer à : gardez vous de la jouissance ! Laissez tomber l’objet ! Fuyez l’imaginaire !

Quelques exemples des propositions de Michel Onfray qui surnagent dans ma mémoire : vivez l’instant ! Ne soyez pas obnubilé par le passé, ni par l’avenir !

Ah d’accord, il faut s’appuyer sur la bonne vieille méthode Coué, alors : je vis dans l’instant, je vis dans l’instant, je vis dans l’instant…

Ou encore : faites fonctionner votre intelligence ! C’est comme un muscle, si on l’entraine, elle va fonctionner, sinon elle va s’étioler. Remarquez, là il est plutôt de bon conseil, en disant : informez-vous, ne prenez pas les idées toutes faites. Si vous êtes de gauche lisez des journaux de droite, si vous êtes de droite, lisez des journaux de gauche. Sinon vous ne ferez que lire ce à quoi vous vous attendez pour conforter vos illusions. Là, il n’a pas tort.

Ou encore : ne restez pas dans la mythologie ! Allez chercher les faits, informez vous ! Et c’est là qu’il revient sur ce qu’il appelle la mythologie freudienne, et qu’il m’a permis d’en comprendre un peu plus sur son appréhension de la psychanalyse. Il dit : « qu’on ait un inconscient, oui, c’est évident, qu’il y ait une sexualité infantile, oui c’est évident. Mais ce qu’il y a dans l’inconscient de Freud n’est pas universel. Chacun a un inconscient différent. Pour y accéder, l’introspection suffit : pas besoin d’aller payer un type ultra cher pendant des années. Mais l’Œdipe, la castration, ça c’est dans l’inconscient de Freud, c’est tout. On n’a pas à nous présenter ça comme universel.

Ah ben ça c’est marrant, j’ai entendu ça dans la bouche nombreux collègues analystes. Dans une version légèrement différente, je dois dire. En général c’est parce que moi, j’avançais des propositions sur l’universalité de l’Œdipe et de la castration qu’on me renvoyait : c’est peut-être dans ton inconscient, mais pas dans le mien. J’aurais avancé que c’était Freud qui l‘avait dit et que, lui et moi ça fait au moins deux, (plus Sophocle, quand même, plus Shakespeare, etc …) la réaction n’aurait peut-être pas été exactement la même, tant le respect pour Freud a cours dans les milieux psychanalytiques, tout en ajoutant, oui, mais c’était un homme du 19ème siècle et depuis, les choses ont changées !

Bref, il y a des analystes qui, forcément détestent Onfray parce qu’il a dégommé Freud, mais qui, finalement, sont aussi onfrayistes qu’Onfray.

Or, il y a une petite mise au point à faire, à partir de Freud lui-même. Il s’agit de cette règle de l’analyse posée clairement par Freud dans la Traumdeutung et reprises vigoureusement dans « l’introduction à la psychanalyse » : je m’époumone depuis presque 20 ans à la rappeler auprès de mes collègues et ailleurs, mais apparemment personne n’a lu ces passages, ni les collègues, ni Onfray. C’est ainsi que j’en déduis la même chose que Freud : pour établir un exploration de l’inconscient qui se tienne je n’ai plus qu’à explorer mon propre inconscient et à en faire part. est-ce que ça va avoir une portée universelle ? a priori non, et de principe : c’est à chacun d’aller explorer son inconscient pourvoir ce qui s’y cache. Et par postulat : c’est peut-être très différent de ce qu’il y a chez moi. et là curieusement je me retrouve onfrayiste.

Mais il y a aussi un faisceau d’indices dans la culture et dans l’expérience avec mes analysants qui me permettent d’inférer une possible universalité de cela. J’en ai déjà beaucoup parlé ici et là. ça reste une hypothèse, et personnellement moi-même j’y adhère. Et je la mets sous le boisseau dès lors que je commence à écouter quelqu’un. Ça ne veut pas dire que je mets dans une position de me faire dupe de moi-même. Au contraire, le fait que j’ai exploré ces contours obscurs et désagréables de l’inconscient me permet de les reconnaître chez les analysants, qui ont chacun leur façon propre de s’y inscrire. Et, la façon la plus propre de s’y inscrire, c’est d’y accéder par ses moyens propres, dans son temps propre, par sa parole propre. Mais mon écoute peut y aider, c’est-à-dire mes questions, mes remarques, mes interpellations. Telle est la subtilité de la position de l’analyste. Ne pas fournir le bébé tout fait, mais supporter les mois de lente grossesse. Le but n’est pas tant de parvenir à ce contenu ; l’Œdipe, la castration, que d’avoir laissé l’autre s’accoucher de lui même. C’est mieux s’il en passe par ses fondements oubliés, mais à chacun son rythme, à chacun son analyse.

Je viens de lire une BD de Manu Larcenet, datant de l’année 2001, où il met en scène un Dr Freud explorant le Wild West de l’Amérique. C’est un condensé des clichés sur Freud et la psychanalyse. Le Freud de cet ouvrage est obnubilé par son rapport à sa mère et, dès

qu’il rencontre un américain, il lui pose aussitôt la sempiternelle question : parlez moi de votre mère. D’un point de vue un peu surplombant, on comprend que tout cela sert la défense des adversaires de la psychanalyse tel que se présente Michel Onfray. L’Œdipe est une névrose de Freud tout seul et les psychanalystes passent leur temps à plaquer cela sur leurs « patients ».

Entre ces clichés, repris par Onfray et, encore une fois, par un bon paquet d’analystes, entre ces clichés et la position complexe, voire paradoxale, que je décris plus haut, il y a un monde.

Une autre chose de la psychanalyse qu’Onfray a très bien comprise, c’est la dénégation. Il explique, avec beaucoup d’humour : quand il s’agit de l’éducation des enfants, nous on les a toujours bien éduqués. Les problèmes, c’est chez les autres. Il ne le dit pas, mais je l’ajoute : oui, c’est la fameuse position des parents d’autistes réunis en associations : s’il y a problème, c’est le gènes, c’est le gluten, c’est la bactérie, c’est une malformation du cerveau. En aucun cas, absolument aucun, ça ne peut être une conséquence de la relation à la mère, la fameuse dont on rigole en faisant des caricatures du Dr Freud. Ça c’est de la dénégation.

Moi, je dis juste : eh bien vérifions si c’est la bactérie, le cerveau, le gluten ou tout ce que vous voulez, c’est possible. Mais il y a TOUJOURS une relation mère–père–enfant, et en cause ou pas, elle mérite toujours d’être analysée.

Bref, la dénégation, c’est vachement bien de la repérer. Chez les autres. Donc j’éviterais d’énoncer quoi que ce soit à propos de dénégation lorsque Onfray dit : « je n’ai jamais désiré sexuellement ma mère ».

Perso, j’ai assez écrit dans de nombreux bouquins articles vidéos et autres, que, oui, j’avais désiré sexuellement ma mère.

D’un autre côté, après nous avoir dit que tout ce que Freud raconte ne concerne que Freud, il nous sert tout un catalogue d’exemples de ce qu’est la castration dans la vie quotidienne. Oui, oui, avec ce mot là, explicite. Il n’ajoute pas après : tiens c’est comme Freud disait, et je repère en effet que ça concerne tout le monde, mais alors, mais alors…

29-août-17

Je viens d’écouter deux épisodes de la contre histoire de la philosophie, de Michel Onfray. Ça m’a fait repenser à toutes ces interventions qui se sont manifestées ici pour énoncer une profonde détestation du personnage. « Degré zéro de la pensée », « pas un philosophe », « nul », et surtout me revient cette question qui m’a été posée : « citez moi un seul philosophe qui obtient la faveur d’Onfray ». Je n’y avais pas répondu sur le moment, estimant qu’on n’allait pas se lancer dans un concours, et surtout pas un compte.

Pourtant, à l’audition de ces deux émissions de France culture, j’ai envie de répondre : eh bien, TOUS. Ils ont tous sa faveur. Ça ne veut pas dire qu’il les aime tous, mais qu’il les prend en compte, il les lit, et, comme toujours, il fait la part des choses ; il ne rejette pas du tout quelqu’un en bloc au nom de ceci ou de cela de la vie privée comme cela a été décrit ici. Par exemple, je l’ai entendu parler avec un très grand respect de Foucault, Deleuze, Derrida, (on pourrait ajouter Montaigne et Nietzsche, mais ce n’était pas le propos ici) mais aussi d’à peu près tous les philosophes contemporains qu’il analyse au travers de la question de la dite « nouvelle philosophie ». De tous, il cite des passages nous permettant de comprendre quelle était leur position, à eux, au regard de ce phénomène médiatique nommé ainsi.

Il n’aime pas Bernard Henri Lévy, ça c’est sûr. Mais il ne balaye pas le personnage d’un revers de la main. Il nous cite des passages de ses ouvrages qui montrent le réductionnisme de sa pensée : parti socialiste = partir communiste, = marxisme = goulag. Fichte = Marx = Lénine = Staline = goulag. Il montre, citation à l’appui, la façon dont il se

contredit sur Soljenitsine. Remarquez, là, je suis pas forcément d’accord avec Onfray : un type qui s’aperçoit de son erreur, qui la reconnait et qui change d’opinion (Soljenitsine, mauvais écrivain, Soljenitsine, plus grand écrivain du 20ème siècle) moi ça me conviendrait plutôt. Mais passons.

Enfin, Onfray reconnaît dans quelques phrases ou positions du nouveau philosophe, que, quelques fois, il a raison. Je ne veux pas discuter ici de la raison de cette raison ou du tort de cette raison ; je veux juste faire remarquer que, comme je l’ai toujours vu faire, Onfray ne rejette jamais quelqu’un en bloc, il prend toujours ce qu’il estime bon à prendre. Y compris chez Freud.

Bref il fait le contraire de ce que j’ai vu décrire ici à de multiples reprises : un type qui rejette tout le monde en bloc. Il fait le contraire de ce qu’on fait tous ces gens, de rejeter Michel Onfray en bloc.

Enfin, je ne suis pas philosophe. Ce débat est pour moi assez lointain, mais ça ne m’empêche pas de m‘intéresser. Je remarque que Michel Onfray cite Freud et Lacan parmi les philosophes. Pour Lacan, je serais assez d’accord, pour Freud beaucoup moins. C’est justement là où je tiens à me démarquer, car je tiens la psychanalyse pour tout autre chose que de la philosophie et c’est ce que je reproche principalement à Lacan, (moi aussi, j’ai changé d’avis) : d’avoir tiré la psychanalyse du côté de la philosophie.

2018

1 août. 18

On va encore dire que je perds mon temps à écouter Onfray, ben non, il m’apprend énormément de choses sur la religion, l’histoire des religions. Je n’ai, en effet, pas de temps à perdre à lire des textes religieux ; lui, si. C’est son métier de philosophe de lire des textes. Je trouve passionnante sa façon de les lire, de les remettre en question , de les triturer dans tous les sens, de les restituer dans leur contexte historique, d’interroger le phénomène de la copie, le phénomène de la traduction, le phénomène des autodafés. Je n’ai pas la culture nécessaire à tout cela, il le fait pour moi donc j’adhère, non pas forcément à tout ce qu’il dit, mais à sa méthode , extraordinairement critique.

il cite Freud encore une fois, et pour le critiquer, encore une fois, et, le critiquant, il dit quelque chose d’extrêmement vrai : avec son histoire d’Oedipe, Freud ne fait que reprendre ce qui trainait dans tous les contextes de l’époque, chez Sophocle et dans d’autres peuples. Pour Onfray, ce ne sont donc que légendes qui circulaient. Pour moi, c’est bien cela. C’était des légendes qui circulaient et qui rejoignent ce qui se dit dans les rêves et dans les rêves de ceux que j’écoute. Au delà de sa critique il y a donc une vérité (selon moi, bien entendu) de ce que dit Onfray, au sein même de sa critique.

Quand Onfray déploie sa culture pour nous faire comprendre le passage du

 christianisme de la secte à la religion planétaire, c’est tout bénéfice. J’entends parler pour la première fois de sectes bizarres aussi diverses que variées qui ont toutes contribué aux débuts

 du christianisme.

 Quand Onfray cite Freud en annexe de son propos, et c’est là le paradoxe, c’est toujours juste,

 comme s’il l’avait bien lu. Par exemple : « la bible dit : si ta main droite te fait souffrir, e ta main droite. Le sexe d’Origène le fait souffrir, il coupe son sexe. malheureusement, il fait

l’expérience que c’est pas là que ça se tient. ben oui, il avait pas lu Freud ». ou encore : « les chrétiens ont été schismatiques des juifs, comme les juifs ont été schismatiques des égyptiens. C’est la thèse de Freud ». je ne prends pas parti sur la vérité de ces thèses, je constate juste qu’il cite Freud positivement.

Apparemment c’est seulement lorsqu’il affronte Freud de front qu’il est critique. Mais quand il se met à parler politique, c’est la grande cata. Tout en dénonçant le populisme, il défend des thèses parfaitement populistes.

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Un pataquès conceptuel


À propos de « la signifiance du rêve, cent ans après »

De Henri Rey-Flaud

Ce texte m’a été soumis pour avis par un être curieux et en recherche. Cela m’a stimulé pour l’examiner ligne à ligne, plutôt que de laisser tomber le couperet d’un bref jugement après l’avoir parcouru d’un œil distrait. 

On me demandait si j’étais d’accord avec ce qui était écrit là voici ma réponse : 

Non je ne suis pas d’accord du tout. Ce texte est une compilation d’incompréhensions graves de ce qu’est le rêve et l’inconscient. Il montre la méconnaissance de l’auteur à propos de son objet de réflexion, d’une part dans son contenu, d’autre part dans sa méthode d’investigation. 

(On trouvera à la fin de mes commentaires, l’original du texte de Henri Rey-Flaud)

Du point de vue de sa méthode : 

L’auteur ouvre son texte par l’affirmation suivante : « la Traumdeutungest à lire comme la bible ». Et il conclut : « Ainsi la Traumdeutung, qui inaugure l’épopée créatrice de Freud, rejoint-elle naturellement le Moïse …ou si en ce point il est confronté au « signe privé de sens » (ein deutungslos Zeichen), selon la parole d’Hölderlin que nous retrouvons donc aujourd’hui en fin de partie. »

Il confirme ainsi son implication religieuse et non scientifique. Il trouve naturel que, à la fin Freud s’intéresse lui aussi à la bible ayant écrit lui-même une nouvelle bible. Enfin il termine par une parole d’Hölderlin, confirmant que dans ce texte, pas une seule parole n’aura été de lui. Certains paragraphes en entier en sont que développement d’une phrase de Lacan ou de Jacques Alain Miller. 

Autrement dit, ce qu’il dit que l’analyse fait, mettre à jour le sujet, il montre par sa pratique qu’il ne le fait pas une seule seconde. 

Par ailleurs, il émaille son texte de mots cités en allemand, ce qui est suivre une mode intellectuelle bien établie destinée à impressionner le bon peuple non seulement par sa connaissance des textes, mais surtout des textes originaux ! Ainsi, il montre son souci de rester au plus près de la lettre originale du texte pour être sûr de ne pas en trahir la signification, ce qui va à l’envers de son propos qui est de plaider pour le hors sens du signifiant. Quand bien même le but ne serait pas celui là, en supposant que je me sois mépris, il n’en reste pas moins que cet étalage d’érudition polyglotte participe de l’hypnose dans laquelle tout bon auteur lacanien invite son lecteur à entrer.  

Mais la psychanalyse n’est pas une compilation de textes, ni un étalage d’érudition. Elle n’est surtout pas une révérence aux textes, de Freud, de Lacan ou de Miller vécu comme référence princeps. Ce que Freud a fait c’est, en scientifique, se référer à l’expérience de l’objet dont il cause, c’est-à-dire l’inconscient, via le rêve, et plus précisément les siens, puisque c’est à ceux là qu’il a un accès direct. Pour moi c’est cela avant tout, la leçon de la Traumdeutung :une leçon de méthode. Bien entendu, il lui a échappé l’énoncé de cette méthode par Freud lui même : « ce qui distingue la psychanalyse de tout autre méthode d’interprétation des rêves, c’est que l’on confie l’interprétation au rêveur lui-même ». C’est ce que le fondateur de la psychanalyse met en application dans son livre, hélas pas complètement. Tout grand homme a ses contradictions, mais il est remarquable de voir l’immense majorité des auteurs psychanalystes se précipiter sur tout ce qui, dans l’œuvre du maitre, vient contredire cette affirmation princeps qui a fondé la psychanalyse sur une formidable originalité de méthode. Ce qui nous vaut ce texte qui n’est qu’enfilade de citations sans référence aucune à l’expérience que l’auteur aurait pu avoir de ses propres rêves, s’il avait voulu se fier à l’esprit et non à une certaine lettre du texte de Freud. C’est un texte qui dit : « contentez vous de me croire et de croire en ma lecture des textes sacrés, ne retournez pas à l’expérience, ce n’est pas la peine ».

D’où cette insistance à étendre l’influence de l’inconscient à tous les domaines de la vie, de façon à diminuer l’importance du rêve. 

Attaquons-nous à présent au contenu, pas à pas, ligne à ligne. 

« La psychanalyse a établi que les coups du sort de la vie (« Mon père est mort…, j’ai perdu mon emploi… ») n’ont rien de réel ou d’objectif .

Non, mais, il faut être bête pour écrire une chose pareille ! bien sur qu’il y a de l’objectif dans ces événements, sinon qu’est-ce qui distinguerait notre appréciation de la réalité d’un pur délire ? Mais l’auteur corrige aussitôt : « Les événements prennent leur sens douloureux, quelquefois ravageurs, en fonction de l’interprétation de l’inconscient ».  C’est en partie vrai, en partie seulement car, que serait cette interprétation si elle ne s’appuyait pas sur un constat de réalité ? C’est ainsi que s’établit dans le socius la croyance en la prémonition : « cette nuit, j’ai rêvé que mon père était mort… et ce matin on m’annonce qu’il est mort dans la nuit ». Et le rêveur de se lancer dans une enquête sur l’heure de son rêve qu’il va immanquablement faire coïncider à l’heure de la mort de son père. Sauf que ce qu’il oublie, c’est ce que ça fait des années qu’il tue son père en rêve, et ne veut pas en prendre conscience. Par hasard, cette nuit là, se produit une coïncidence avec la réalité. Mais il y faut bien cet appui sur la réalité sinon, il n’y a pas de coïncidence qui tienne. 

Des gens qui croient que leur père est mort alors qu’il ne l’est pas ou qui le croient encore vivant alors qu’il est mort, j’en ai connu, dans les hôpitaux. Moi-même j’ai cru l’avoir tué en rêve, et j’y croyais encore 5 minutes après mon réveil ; heureusement que le constat objectif de la réalité est venu me sortir de cette horrible souffrance.

L’auteur en conclut : «  Ce qui donne à la dite réalité l’inconsistance du rêve ». Il n’y a pas plus faux. Il faut n’avoir jamais rêvé pour assimiler ainsi le flou, le contradictoire, l’horrible du rêve, avec la consistance de la réalité. Cette conception tire la psychanalyse du côté d’un véritable délire, celui qui amenait Lacan à dire : « à mon séminaire, je suis analysant » : ben voui, c’est une conséquence de cette conception purement intellectuelle qui fait de l’inconscient un être présent dans toutes les situations de la vie quotidienne y compris lorsqu’on cause philosophie ou mathématiques. 

C’est très bien développé dans la suite : 

« les intentions et les actes des hommes à l’état de veille sont portés par un discours dont ils ne savent rien, si bien qu’ils sont dans la vie quotidienne coupés de la vérité de la réalité aussi sûrement que lorsqu’ils se retirent de celle-ci dans le sommeil »

Il n’y a pas plus faux. Je me demande comment on peut se laisser berner par des inepties pareilles.  Si les hommes étaient si coupés de la réalité que ça, jamais ils n’auraient pu réaliser les ouvrages que la civilisation a parsemés sur globe. C’est parce qu’on connaît, dans la réalité, la résistance des matériaux, qu’on peut la calculer précisément qu’on peut réaliser des ponts et des gratte-ciels qui tiennent le coup à travers les siècles. S’ils s’effondrent parfois c’est justement parce qu’on n’a pas toujours tenu compte de la réalité, et pas forcément pour des raison inconscientes, mais tout à fait conscientes de profit, de gros sous, voire d’erreurs de calculs qui n’ont pas toujours à faire avec l’inconscient (parfois oui, parfois non ). 

C’est parce qu’un scanner a permis de « réaliser » une tumeur de 16 cm de diamètre sur mon rein droit que j’ai pu être opéré et donc guéri. Mon rein a bien été retiré dans la réalité et non dans le rêve, encore heureux ! Heureusement que les médecins mettent de côté leur inconscient, grâce au refoulement justement, pour parvenir à de tels succès. Ceci nonobstant le fait qu’il y a des symptômes qui sont le produit de l’inconscient, et mon cancer en est peut-être un, mais je n’en sais rien. Moi aussi j’ai mis de côté mon inconscient en acceptant l’opération, heureusement réalisée par une équipe bien éveillée et en prise avec la réalité de mon corps. Ça ne m’empêche pas de réfléchir dessus, voire d’en rêver, mais heureusement que je n’ai pas compté que là-dessus pour extraire la tumeur. 

« L’inconscient, c’est très exactement l’hypothèse qu’on ne rêve pas seulement quand on dort ». 

Eh, bien c’est une hypothèse fausse. Les gens qui rêvent dans la réalité sont en plein délire. Quand on a une hypothèse, on la vérifie. On passe à l’expérience, on cite des expériences. Ce faisant on risque de se tromper, bien sûr, comme tout scientifique dans le laboratoire. Mais on communique ses résultats aux autres, qui refont les expériences et ainsi la science avance. Elle ne risque pas d’avancer avec ce type d’assertion, qui se pare des vertus de l’hypothèse sans se donner les moyens d’aller jusqu’au bout de cette vertu. 

« Parce qu’elles sont à prendre, à l’instar de celles d’un rébus, comme de purs signifiants, les images du rêve sont délestées de la charge significationnelle »

Voilà la tarte à la crème du lacanisme, qui soutient exactement l’inverse de ce que Freud avait découvert. Ce qui permet d’affirmer que Lacan, sous couvert d’un retour à Freud de pure élégance, a véritablement détourné la psychanalyse de sa conception originelle par son inventeur. Là aussi, il faut n’avoir aucune expérience du rêve et ne se fier qu’aux élaborations intellectuelles de Lacan pour affirmer une chose pareille. 

De plus il faudrait savoir ce qu’est le signifiant, qui, chez Lacan, bénéfice de tant de définitions contradictoires qu’on ne sait plus vraiment ce que c’est. À la fin de ce texte, l’auteur met en coïncidence la lettre et le signifiant, confusion que Lacan a trainée toute sa carrière pour dire à la fin (dans Lituraterre): « je n’ai jamais confondu la lettre et le signifiant ». Comme quoi tout dépend à quel texte de Lacan on se réfère, l’auteur ayant choisi ici de pas se référer à ce texte tardif de Lacan. 

« …qui embarrasse le discours du moi pour viser, à travers le jeu des déplacements et des condensations, le cœur réel « ombilical » qui détient la cause du sujet ». 

Même remarque : il faut n’avoir jamais rencontré le Réel pour écrire une chose pareille. Le Réel ne détient nullement la cause du sujet. Si le Réel est, comme je l’ai constaté, la trace de perceptions qui n’ont pu accéder au statut symbolique, ces traces n’embarrassent nullement le sujet et ne constituent en aucun cas le cœur de rêve et de l’inconscient. Elles forment un décor au déroulement du rêve, un décor flou, indescriptible, une surface de travail à l’élaboration du rêve qui n’intervient pas plus que la paillasse dans les expériences du chimiste.  

Je dois nuancer mon propos : certaines autres traces mobilisent ce que j’ai appelé la pulsion (à la différence du désir, les deux étant souvent confondus chez Lacan), et donc la répétition. Le symbolique est à l’œuvre pour tenter de fabriquer des représentations à partir de ces traces mnésiques qui résistent à son travail. Parfois cela peut être combiné avec des représentations qui en font un problème pour le sujet, et participer de sa construction subjective. Parfois non. Il faut en rester au cas par cas, de rêve en rêve, de sujet en sujet. 

Mais en aucun cas on ne peut réduire l’inconscient au Réel et le sujet à sa confrontation à ce dernier. Cet envahissement du Réel dans la théorie lacanienne aura eu pour effet de voiler l’essentiel de la découverte de Freud : le désir du sujet de l’inconscient de mettre à jour ses contenus représentatifs (dans le rêve) tout en les refoulant dans la veille.  Cette veille, autrement dit, les exigences à la fois du surmoi et de la réalité, n’est pas complètement éteinte dans le rêve, puisqu’elle reste au principe des condensations et déplacements destinés à masquer ces contenus représentatifs sous d’autres devenus incompréhensible en première approche. Nous sommes là dans une problématique parfaitement significationnelle et pas du tout hors sens. 

Freud corrige en 1925, si ma mémoire est bonne, dans son « Complément métapsychologique sur la théorie du rêve » cette conception du rêve comme seul retour du refoulé. Il y inclût, en plus, les effets de la pulsion de mort qu’il n’a pas encore repérée comme étant le symbolique : parfois le rêve est pure répétition de quelque chose de désagréable, comme le trauma de la victime d’un accident, d’un d’attentat ou de la guerre. Ce n’est pas que la réalisation d’un désir, thèse qu’il soutenait dans la Traumdeutung. Mais ça ne rend pas cette thèse caduque, ça ne la remplace pas, ça la complète. Chez Lacan (et les lacaniens) il semble qu’il s’en soit emparé pour lui faire envahir tout le champ de l’inconscient, oubliant la première partie de l’œuvre de Freud et surtout oubliant de retourner au laboratoire du rêve afin de vérifier tout cela. 

« de même que le sujet de la réalité n’a pas accès au réel (même l’enfant autiste le plus archaïque n’est pas confronté à cet impossible),  Le « réel », disait Lacan, c’est au-delà du rêve que nous avons à le chercher — dans ce que le rêve a enrobé, a enveloppé, nous a caché, demeure le manque de la représentation dont il n’y a là qu’un tenant-lieu [cette formule confirmant le défaut non pas du réel, mais d’une représentation du réel ».

Pour une fois je suis d’accord en partie avec ces remarques. Oui, le sujet de la réalité n’a pas accès au Réel. Mais quand l’auteur fait référence à la définition de Lacan : le Réel c’est l’impossible », il oublie que Lacan a donné comme exemple du réel le retour des étoiles toujours à la même place, ce qui est pourtant typique de la réalité, et pas du tout du Réel. Ou encore il a développé l’exemple du livre égaré dans les rayons de la bibliothèque pour en conclure : « dans le réel rien ne manque », et oui, le livre est bien là quelque part, mais on ne sait pas où. Mais c’est dans le symbolique qu’on s’est égaré, juste parce que le livre n’a pas été rangé à la bonne place. Nul réel dans cette histoire, car le livre ne fait que « manquer à sa place », ce qui indique bien qu’il manque, contredisant ainsi l’affirmation que « dans le réel, rien ne manque ». 

L’affirmation : « c’est au-delà du rêve que nous avons à le chercher » contribue à ce discrédit de la « voie royale de l’inconscient » tel que Freud l’avait repérée. Moi, je n’ai rencontré le Réel que dans mes rêves, tandis que les exemples hors rêve des étoiles et de la bibliothèque indiquent qu’il ne s’agit pas du Réel. 

C’est pourquoi je reste d’accord avec le fait que le Réel soit, non pas manque, mais absence de représentation. 

« Retenons que le « réel » en cause dans le rêve est celui qui forme le cœur du symptôme et nourrit la compulsion de réitération portée par les « signes de perception » primitifs (Wahrnehmungszeichen) évoqués dans la célèbre Lettre 52 à Fliess – « réel » qui est donc celui qui « a déjà pâti du signifiant » fidèle dans son esprit aux leçons de la Traumdeutung ». 

Le symptôme est une formation de compromis entre représentations contradictoires, et parfois répétition de l’échec du symbolique à s’emparer du Réel. Nous retrouvons ici une nouvelle preuve de l’éradication des trouvailles de Freud, et de ce que j’ai trouvé moi même à l’exploration de mon inconscient. il n’y a plus que le « réel » au cœur du symptôme, et c’est une erreur fondamentale de tout réduire à cela. Cependant le Réel que j’ai découvert correspond bien aux signes de perceptions de Freud, mais Freud n’en fait pas le cœur du symptôme, et ce n’est pas du tout l’esprit de la Traumdeutung

Par ailleurs je ne vois en quoi ce Réel aurait « pâti du signifiant ». Je ne vois pas du tout ce que cette formule pourrait dire, notamment si je me réfère au chapitre 7 de la Traumdeutung, où les signes de perception sont placés juste après la perception et avant  tout encodage par les représentations (c’est-à-dire par le signifiant, si on veut faire le pont entre un vocabulaire et un autre, mais celui de Freud est très clair, tandis que Lacan brouille les pistes avec ses multiples définitions du signifiant )

« Encore faut-il savoir que l’interprétation du rêve n’a rien à voir avec une transcription qui ferait passer un texte dans un autre, car ici le texte originaire n’existe pas. » 

Bien sûr que si, il existe, dans le rêve ! ce sont les représentations refoulées sous les coups du surmoi. Le texte originaire n’existe pas seulement pour le refoulement originaire qui est le vocable qui, chez Freud correspond à ce qui n’a pas eu accès au moindre encodage symbolique. Donc oui, il y a des traces d’un quelque chose qui n’est pas texte, donc pas texte original, mais ce n’est pas une raison pour tout effacer derrière cette zone de l’inconscient. L’essentiel de l’œuvre de Freud réside pourtant dans cette transcription et il faut être culotté pour se prétendre freudien en niant toute cette partie. 

Et voici l’exemple parfait de ce que j’annonçais au début de la confusion de la lettre avec le signifiant, confondus de surcroit avec la représentation de chose : 

« Cette source impulse de purs signifiants [la référence paradigmatique ici serait le célèbre Poordjeli de Leclaire], purs signifiants qui, dans la névrose grâce à qui nous les connaissons, ont statut de Lettres [2], qui sont normalement transcrites dans l’inconscient représentatif sous forme de « représentations de chose »

Le signifiant, en référence à Saussure, c’est la représentation de mot. On retrouve ici un relent de psychiatrie que la psychanalyse a décidément du mal à éradiquer avec cette allusion à la névrose qui ferait qu’on ne connaît cela qu’à travers quelque chose qui ne serait donc pas la normalité. Heureusement l’auteur nous dit que ça, c’est normal, donc la névrose c’est le normal : pourquoi parler de névrose alors ? 

Pendant longtemps je m’en suis tiré, dans ma compréhension de Lacan en donnant au signifié le statut de représentation de chose. Nous voyons ici que les « purs signifiants » sont devenus les traces mnésiques issues du réel, qui sont donc retranscrites non pas en représentation de mot mais en représentation de choses. Ce qui entraine de confusions à n’en plus finir : le « signifiant » c’est-à-dire ce qui est destiné à signifier, ne signifie plus rien, mais se trouve transcrit en « représentation de chose » c’est-à-dire les images du rêve. Or, on nous a dit plus haut qu’aucune transcription n’était possible puisque le texte originaire n’existe pas. 

C’est bien là le noyau du problème : ce qui est définit « hors représentation », et « intranscriptible » est dit ici transcrit en représentations. 

Les lettres sont donc bien ce que j’avais compris comme représentation de choses, mais pour moi elles ne viennent nullement de la transcription de l’ intranscriptible, mais tout simplement du refoulement, ainsi que Freud le dit et que je confirme par mon exploration des rêves. Or, il est confusionnant d’appeler « lettres » les représentations de chose car, dans notre monde occidental, les lettres transcrivent des sons, et non des signifiés. 

Cependant cette exploration des rêves me permet aussi de corriger un énoncé de Freud : « dans l’inconscient, il n’ y a que des représentation de choses » dit il, (et c’est inscrit dans le schéma deson chapitre 7 de la Traumdeutung) le refoulement consistant en la séparation des représentations de mots  et des représentations de choses. Non, il y a aussi des représentations de mots dans l’inconscient, qui subissent le même sort de déplacement et de condensation que les représentations de choses.  Ce pourquoi j’en reviens néanmoins au vocabulaire freudien, considérablement plus clair que le lacanien. 

Et si la référence est le Pordjeli de Leclaire, eh bien, ça ne marche pas du tout ; Leclaire montre au contraire comment chacune des lettres de ce mystérieux vocable peut être transcrite en une signification. Ce ne sont donc pas de « purs signifiants » intranscriptibles. 

Mais il faut vraiment faire des acrobaties mentales avec ce vocabulaire, car le signifiant, en principe, signifie, c’est-à-dire qu’il suppose un signifié, chez Saussure et dans certaines phrases de Lacan. Notamment dans : « le signifiant  représente un sujet pour un autre signifiant » cela ne veut pas dire autre chose que ceci : le signifié de ce signifiant, c’est le sujet, puisque c’est ce qu’il représente, et donc il s’agit bien de représentation, nommément représentation de mot.  Dans d’autres phrases du même,  le signifiant ne représente plus rien du tout, étant « lettre », étant « du Réel », devenu « pur » comme si la signification était une impureté dont il faudrait se débarrasser. Et là on retrouve un nouveau casse tête chinois car les lettres représentent les sons de l’alphabet, et dans la lettre volée, elle représentebien un élément de chantage de la part du ministre pour établir son pouvoir sur la reine. Même si on ne sait pas ce qu’elle contient, on sait qu’elle recèle une signification et que celle-ci serait dommageable pour la reine si le roi venait à le savoir. À tout coup, nous sommes dans la représentation et non dans le Réel qui serait un impossible et encore moins un impossible à représenter. 

« La Bedeutung du rêve est ainsi le produit d’un échange permanent entre le travail du rêve et le travail de l’analyse ». Merci pour le mot en allemand même pas traduit qui indique que ce texte ne serait censé s’adresser qu’à des érudits. Il s’agit encore une fois de signification, et je croyais que le « signifiant pur » n’en avait pas, et qu’il ne fallait pas la chercher. Mais je suis d’accord qu’il s’agit bien du travail en commun de l’analysant et de l’analyste, ce qui indique une position active de ce dernier et non de faire le mort comme le préconise Lacan, ce qui est suivi par la plupart des analystes. 

« Le noyau de l’inconscient est formé de ces runes indéchiffrables, situés en bordure immédiate du site du Vorstellungsrepräsentanz (soit aux marches de l’Urverdrängung) et qui constituent le désir freudien (Begierde) à distinguer des souhaits (Wünsche), expression du refoulé secondaire », 

Mêmes remarques au sujet de l’érudition étalée ici comme une rare confiture sur une tartine assez peu digeste. Je note d’abord le « rune indéchiffrable » qui suppose que le lecteur a entendu parler de ces écritures nordiques longtemps restées indéchiffrables en effet ; ce n’est pas parce qu’elles n’étaient pas chiffrées, mais parce qu’on ne connaissait pas le code. Comme pour les hiéroglyphe et l’écriture maya, on a fini par le trouver. Il ne s’agit donc pas de « purs signifiants » mais de symboles, comme les symboles du rêve qu’on ne comprend pas parce qu’on n’en connaît pas le code. Et ces symboles du rêve, comme les runes, en y travaillant, on les déchiffre. 

En parlant du Vorstellungsrepräsentanz, l’auteur ne sait pas de quoi il cause. Lacan a extrait ce vocable d’un texte de Freud en lui conférant une signification qu’il n’a pas. Le fondateur de la psychanalyse ne distingue pas là un concept nouveau, il veut simplement préciser qu’il s’agit du représentant-représentation, pour le distinguer du représentant affect. Allez voir le texte allemand, c’est tout à fait clair. On trouvera la démonstration plus précise et plus développée dans mon livre « Abords du Réel ».

 Cependant, dans mes rêves, j’ai découvert très fréquemment des représentations de la fonction représentatrice elle-même : écran de cinéma, scène de théâtre, usine, machine : tout ce qui fabrique quelque chose, tout ce qui fabrique des représentations. En dernière analyse, ces représentations de la représentation représentent la fonction de représentation, c’est-à-dire le sujet de l’inconscient. C’est proche de ce que Lacan cherche à signifier, quoique chez Lacan ce soit beaucoup  moins clair, et il n’en parle jamais en termes issus de la pratique, comme je viens de la faire. Je ne peux donc pas être sûr de ce que j’avance de similitude entre ce qu’il dit et mon propos. Quoiqu’il en soit, si c’est le cas, ce n’est pas le Vorstellungsrepräsentanzde Freud, qui n’a jamais abordé ce concept nulle part. 

En ce sens, le Vorstellungsrepräsentanzn’a bien évidemment pas de site, il est partout. Et, s’il représente bien le sujet en tant qu’il fabrique les représentations, alors cela indique que le sujet n’est pas le jouet du signifiant ni le parasite du Langage dont parle Lacan. Il est certes déterminé en partie par son histoire, mais dans cette histoire, il a un rôle à jouer et ce rôle actif apparaît sous forme imagée dans le rêve. C’est exactement ce que produit l’enfant du fort-da : en cachant la Chose, il produit des représentations et essentiellement cette représentation de lui-même comme actif dans les départs de sa mère. 

Vous me direz que Lacan a aussi insisté sur la nécessité de responsabiliser le sujet : « dans votre malheur, vous y êtes pour quelque chose ! » qui sonne hélas comme une morale. Le plus drôle c’est que ça entre en contradiction avec le sujet posé axiomatiquement comme jouet du langage. 

« Il suffit d’imaginer ce que serait une cure analytique conduite par un analyste ignorant la langue de son patient et recourant à la médiation d’un interprète pour découvrir que l’interprétation diplomatique opère au service d’un moi tenu pour adéquat à son discours et prêt à sanctionner, à l’occasion, ce statut d’une double dénégation :« Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas. »

eh bien justement il se trouve que j’ai eu en analyse des gens dont je ne connaissais pas la langue maternelle. L’analyse se passait soit en français, soit en anglais pour les personnes qui ne parlaient pas le français. Il m’est arrivé aussi parfois d’en passer par la médiation d’un interprète. J’ai bien l’impression que les analyses se passaient comme avec des francophones de souche. Ceci dit, je ne vois pas pourquoi je ne travaillerais pas au service du moi, car je ne vois pas en quoi le moi serait haïssable. Le travail de l’analyse consiste bien à trouver les interprétations qui permettent de réintégrer au moi conscient les significations restées inconscientes. Je sais que certains psychanalystes américains, contre lesquels Lacan s’est vigoureusement dressé, ont fait de ce travail une morale du moi fort. Ce n’est pas mon cas, ni celui de Freud dont c’était pourtant la technique à laquelle je ne fais que rester fidèle. 

Et en effet je soutiens cette double dénégation : « Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas ». J’ai trop entendu, dans des groupes d’analyse de la pratique, des collègues parler ainsi de leurs « patients », auxquels ils faisaient bien dire ce qu’ils n’avaient pas dit en leur insufflant des interprétations basées sur des jeux de mots, comme dans l’exemple de la mer-mère que j’ai cité plus haut. L’homophonie a beau être irréfutable, l’interprétation ne vaut que si le sujet l’assume en son nom et énonciation propre, pas si on la lui suggère.

« Elle confirme ainsi que le sujet (de l’inconscient) qui occupe cette place ne pourra jamais sortir de l’univers du sens, qu’il ne consistera jamais dans aucun dit, mais insistera toujours dans le dire : l’inconscient interprète, mais il n’y a pas d’interprétation de l’interprétation ». 

Eh bien oui, mais alors pourquoi nous avoir dit que le noyau de l’inconscient était « hors sens », que c’était l’impossible du Réel ? 

Et, si il peut y avoir des interprétations de l’interprétation car les rêves se présente souvent comme feuilletage qui sont des empilement de significations. L’interprétation donnée la veille peut toujours être réinterprétée le lendemain. Et c’est bien là qu’en effet, le sujet se retrouve dans son dire plus que dans son dit, dans sa fonction énonciative, ce pourquoi il importe de ne pas la lui voler en lui faisant entendre ses homophonies comme des oracles. 

« L’interprétation de l’inconscient veut dire qu’il n’y a pas de texte originaire, que n’existe que la source du signifiant qui n’inscrit rien, qui détient seulement la capacité donnée au sujet de pouvoir écrire ».

bon, archi faux, je m’en suis déjà expliqué. D’autant plus faux que bien des éléments du même texte disent le contraire. 

« Le rêve permet ainsi d’appréhender ce que pourrait être un pur discours de l’inconscient (hors compromis avec le moi), pur discours dont l’oracle qui ne dit (λέγει), ni ne cache (χρύπτει), mais signifie (σημαίνει) fournit le paradigme »

Merci pour les termes grecs, ça en jette ! Mais cette phrase me reste totalement incompréhensible. On vient de nous dire que le sujet était plus dans le dire que dans le dit, qu’il n’y avait pas de signification à chercher, et voilà que le paradigme du rêve serait le contraire ! d’où l’usage des termes grecs : fasciné par l’érudition qu’il étale, l’auteur ne voit même pas qu’il se contredit dans les grandes largeurs. Bien évidemment le lecteur lambda subira la même fascination et passera à côté du questionnement : mais, à force de nous dire tout et le contraire, tout cela a-t-il un intérêt ? 

Au passage, je note aussi l’abus du terme « pur », comme chez Lacan et la plupart des lacaniens. Ce souci de la pureté me renvoie des relents de morale religieuse qui ne me plaisent guère. 

« L’interprétation des rêves a elle-même induit cette confusion. En se présentant comme un catalogue de rébus, de textes à déchiffrer, ce livre fondateur a pu paraître cautionner la théorie du double discours »

Mais c’est très exactement ce qu’il fait, parce que ce sont les faits. Inutile de le tordre pour, encore une fois, lui faire dire ce qu’il ne dit pas. 

« si bien que dans une note rajoutée en 1925 à la septième édition de son ouvrage, Freud a dû faire une mise au point pour préciser qu’avant la Traumdeutung on avait confondu le rêve avec son contenu manifeste et que depuis sa publication certains analystes étaient tombés dans l’erreur inverse en le confondant avec son contenu latent, alors que le rêve était avant tout le travail du rêve

« Ce rappel à l’ordre signifie que le rêve ne se réduit à aucun texte manifeste ou latent dont l’interprétation délivrerait au sujet une vérité de lui-même insue. Ce principe remet, du coup, à l’ordre du jour certaines évidences relatives à l’entreprise analytique qui sont souvent occultées par la force de l’habitude. »

Je ne vois pas pourquoi il faudrait occulter les textes, le manifeste comme le latent, qui sont la matière du travail du rêve. Pour se saisir de ce travail il faut bien en empoigner les matériaux. Il est vrai que ce matériel, pétri d’inceste, de castration et de pipi caca, ne donne pas trop envie d’y plonger les mains. La proposition lacanienne consiste donc à s’en laver les mains, bien en accord avec le souci de pureté que l’on découvre à toutes les pages. C’est par le dévoilement successifs des significations  de son histoire que le sujet accède peu à peu à cette signification ultime, lui même représenté par ce lent travail qui lui a permis de construire une à une les marches lui ayant permis de monter à l’étage où à présent il se tient, bien debout dans la réalité, contemplant les étages des fantasmes qu’il n’a pas négligés et qui font désormais partie de son être.

Il ne s’agit donc ni de réduire au texte manifeste, ni au texte latent, ni au parcours qui se tisse de l’un à l’autre. Tout cela compte. 

« Ainsi l’analyse n’a-t-elle jamais affaire au rêve en tant que tel, mais seulement au rêve « converti » au moi. L’inconscient, en tant que tel, n’a aucun lieu pour se dire »

Je ne sais pas si on se rend compte de sens de cette dernière phrase : elle supprime purement et simplement la psychanalyse, qui s’était instituée comme lieu où l’inconscient peut se dire. C’est sûr qu’en se mettant régulièrement à la place du mort (en théorie) , ce qui donne la place du surmoi (dans la réalité des cures), en affectant de négliger le rêve et ses textes latents, Lacan et les analystes lacaniens ne peuvent guère entendre que de l’inconscient converti au moi. En effet, ils ont supprimé le lieu d’expression de l’inconscient, ce pourquoi on n’entend plus dans la bouche des analystes que spéculations théoriques super érudites d’où l’Œdipe et la castration ont été chassés, ainsi que, de surcroit, la singularité des sujets. 

14 nov. 18 

Voici le texte original que je vins de commenter : 

La signifiance du rêve cent ans après

1Heidegger écrivait d’Hölderlin qu’« il venait vers nous de l’avenir ». Cette formule vaut pour tous les grands créateurs – nommément pour nous aujourd’hui : Freud. De ce point de vue, si la Traumdeutung constitue la Voie Royale qui a introduit les premiers analystes à la découverte de l’inconscient, elle reste pour nous qui sommes dans ce champ les « tard venus », pour reprendre une expression du poète évoqué il y a un instant, un texte à lire comme la Bible, la seule question étant de savoir si ce texte fondateur doit être lu avec les lunettes du vicaire Savoyard ou comme présentant le dernier des midrachim — en d’autres termes, si priorité sera donnée aux énoncés pédagogiques patents qui supportent assurément les intentions conscientes de Freud au moment de la publication, ou aux effets d’énonciation, caractéristiques de toutes les grandes œuvres et qui confèrent à celles-ci le statut mis en évidence par Heidegger qui fait qu’en dépit de tous les commentaires elles paraissent toujours venir à notre rencontre du futur.

2La psychanalyse a établi que les coups du sort de la vie (« Mon père est mort…, j’ai perdu mon emploi… ») n’ont rien de réel ou d’objectif. Les événements prennent leur sens douloureux, quelquefois ravageurs, en fonction de l’interprétation de l’inconscient — au sens subjectif du terme (je fais ici référence à une formulation de Jacques-Alain Miller). La réalité n’est que le lieu où s’accomplit la vérité du sujet, déniée par le moi. Ce qui donne à la dite réalité l’inconsistance du rêve.

1  Premier fragment.

2  Lacan, Séminaire XXV, Le moment de conclure, séance du 15 novembre 1977 (inédit).

3Héraclite notait déjà que « ce que les hommes font éveillés leur échappe (XavOàvei.), tout comme leur échappe ce qu’ils oublient (èmXavO-àveiv) en dormant »1. Ce qui signifie que les intentions et les actes des hommes à l’état de veille sont portés par un discours dont ils ne savent rien, si bien qu’ils sont dans la vie quotidienne coupés de la vérité de la réalité aussi sûrement que lorsqu’ils se retirent de celle-ci dans le sommeil, vérifiant ainsi la formule de Lacan que « l’inconscient, c’est très exactement l’hypothèse qu’on ne rêve pas seulement quand on dort »2. Au-delà de sa portée poétique (« la vie est un songe »), cette sentence indique que le discours du rêve et le discours de la veille ne sont peut-être pas aussi distincts l’un de l’autre qu’on se le représente.

3  Freud, « Note sur l’inconscient », dans Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1986, p. 176.

4  Ce que Lacan confirme en disant que le processus primaire ne chiffre pas une signification, mais d (…)

4Le rêve n’est pas le champ ouvert au fibre cours du principe de plaisir. Il découvre un espace où les prétentions ordinairement exorbitantes du moi sont non pas abolies, mais maintenues dans certaines limites, ce qui met en partie le rêve à l’abri de la « tendance à la motivation » caractéristique du moi qu’illustre de façon plaisante l’exemple du patient qui, ayant reçu sous hypnose l’ordre d’ouvrir son parapluie à son réveil, exécute cet ordre, le moment venu, en fournissant toutes sortes de bonnes raisons pour « motiver » l’acte insensé qu’il vient d’accomplir3. Parce qu’il ignore (dans une certaine mesure) cette tendance, le rêve constitue le lieu élu de l’arbitraire du signe4.

5En ce point de mon exposé, je me vois contraint de rappeler quelques principes de la métapsychologie freudienne qu’il est nécessaire de se remettre en mémoire si l’on veut saisir la structure complexe du rêve.

5  Lacan, Séminaire XI, Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1986, p (…)

6  Lacan, Séminaire VII, L’Éthique de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1973, p. 142.

6Parce qu’elles sont à prendre, à l’instar de celles d’un rébus, comme de purs signifiants, les images du rêve sont délestées de la charge significationnelle qui embarrasse le discours du moi pour viser, à travers le jeu des déplacements et des condensations, le cœur réel « ombilical » qui détient la cause du sujet. La complexité des enjeux invite à avancer ici pas à pas et à dire : de même que le sujet de la réalité n’a pas accès au réel (même l’enfant autiste le plus archaïque n’est pas confronté à cet impossible), mais perçoit seulement du réel ce qui a été relevé (aufgehoben) et imaginarisé par le langage représentatif, de même le rêveur est coupé du « réel » (entre guillemets donc) qui constitue le cœur ombilical (das Unerkannte) de son rêve. « Le « réel », disait Lacan, c’est au-delà du rêve que nous avons à le chercher — dans ce que le rêve a enrobé, a enveloppé, nous a caché, demeure le manque de la représentation dont il n’y a là qu’un tenant-lieu [cette formule confirmant le défaut non pas du réel, mais d’une représentation du réel]. C’est là le « réel » qui commande plus que tout autre nos activités, et c’est la psychanalyse qui nous le désigne »5 — qui nous le désigne en le laissant hors d’atteinte. Retenons que le « réel » en cause dans le rêve est celui qui forme le cœur du symptôme et nourrit la compulsion de réitération portée par les « signes de perception » primitifs (Wahrnehmungszeichen) évoqués dans la célèbre Lettre 52 à Fliess – « réel » qui est donc celui qui « a déjà pâti du signifiant »6.

7Ce rappel permet de présenter un schéma métapsychologique du fonctionnement du rêve fidèle dans son esprit aux leçons de la Traumdeutung. Je vous demanderai encore un peu d’attention sur une matière qui va rester pendant quelques temps aride.

8En mettant au travail les associations du patient, l’analyse du rêve effectue de façon régrédiente (jusqu’au point « ombilical ») le parcours que le travail du rêve a accompli de façon progrédiente (depuis ce même point). Encore faut-il savoir que l’interprétation du rêve n’a rien à voir avec une transcription qui ferait passer un texte dans un autre, car ici le texte originaire n’existe pas. La Bedeutung du rêve est ainsi le produit d’un échange permanent entre le travail du rêve et le travail de l’analyse. Dans ce processus, la source signifiante du rêve (Quelle) [1], qui se confond avec celle de la pulsion et avec l’ombilic du rêve, est le lieu qui rassemble et focalise les réseaux souterrains constitutifs de l’origine présymbolique du sujet (Unerkannte) que Freud dans deux passages de l’Esquisse appelle das Ding. Cette source impulse de purs signifiants [la référence paradigmatique ici serait le célèbre Poordjeli de Leclaire], purs signifiants qui, dans la névrose grâce à qui nous les connaissons, ont statut de Lettres [2], qui sont normalement transcrites dans l’inconscient représentatif sous forme de « représentations de chose » [3], lesquelles, au dernier temps, s’articulent entre elles pour produire au terme d’un certain travail le rêve [4]. Ce n’est toutefois que sous l’effet d’un autre travail, celui de l’analyse, que prennent consistance les « pensées » (Gedanken) du rêve, lorsqu’elles sont basculées dans l’espace du moi et mises en forme selon les exigences de celui-ci.

9Tels des météorites tombés d’une planète disparue, les purs signifiants jaillis de la source ombilicale de l’inconscient (les Lettres) conservent hors représentation le souvenir des premiers rapports du sujet à la réalité. Ils sont la trace énigmatique fossilisée des premières expériences de jouissance. Le noyau de l’inconscient est formé de ces runes indéchiffrables, situés en bordure immédiate du site du Vorstellungsrepräsentanz (soit aux marches de l’Urverdrängung) et qui constituent le désir freudien (Begierde) à distinguer des souhaits (Wünsche), expression du refoulé secondaire. Ces graphes ont été à un moment pris en charge par le moi primitif (sinon le sujet serait psychotique) avant d’être primordialement refoulés pour constituer, privés de signification, le cœur opaque de l’inconscient.

7  Il s’agit de la thèse citée de Jacques-Alain Miller.

10Cette conception valide la thèse à laquelle nous avons déjà fait référence et qui attribue le premier travail d’interprétation à l’inconscient7.

11L’interprétation, anciennement l’« entre-prêt », consiste à « prêter du sens » dans l’espace vide qui se trouve entre deux langues. L’interprète diplomatique (le truchement, disait-on chez Molière) recueille des segments d’énoncés qu’il convertit à l’intention du tiers-destinataire dans le code de celui-ci. Ce faisant, il suture la place de l’« entre », en produisant la signification des énoncés qu’il recueille au prix de la perte entropique du sens de renonciation. L’interprétation trahit ainsi qu’elle est un refus (par impuissance) de traduction, qu’elle a donc la même structure que le refoulement (on sait que c’est par cette formule que Freud dans la Lettre 52 définit le refoulement). Il suffit d’imaginer ce que serait une cure analytique conduite par un analyste ignorant la langue de son patient et recourant à la médiation d’un interprète pour découvrir que l’interprétation diplomatique opère au service d’un moi tenu pour adéquat à son discours et prêt à sanctionner, à l’occasion, ce statut d’une double dénégation :« Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas. »

12À l’envers, l’interprétation de l’inconscient conserve l’écart entre le dit et le dire, soit du contenu manifeste au contenu latent, comme elle le fait du contenu latent à la source du signifiant. Elle maintient vide de signification la place de l’« entre » où elle ne prête que du sens. Elle confirme ainsi que le sujet (de l’inconscient) qui occupe cette place ne pourra jamais sortir de l’univers du sens, qu’il ne consistera jamais dans aucun dit, mais insistera toujours dans le dire : l’inconscient interprète, mais il n’y a pas d’interprétation de l’interprétation. L’interprétation de l’inconscient veut dire qu’il n’y a pas de texte originaire, que n’existe que la source du signifiant qui n’inscrit rien, qui détient seulement la capacité donnée au sujet de pouvoir écrire.

8  Héraclite, fragment 93.

13Le rêve permet ainsi d’appréhender ce que pourrait être un pur discours de l’inconscient (hors compromis avec le moi), pur discours dont l’oracle qui ne dit (λέγει), ni ne cache (χρύπτει), mais signifie (σημαίνει) fournit le paradigme8. La parole du Maître (άναξ) qui est à Delphes n’est ni dans le discours, ni dans le double discours. Elle est σημαίνειν, source signifiante, énonciation pure, qui dialectise le « dit » et le « non-dit » (pas de « dit » sans « non-dit »). Au nom du même principe, le rêve « signifie » (σημαίνει) dans l’entre montrer/cacher : au moment où il dit, il cache, au moment où il traduit, il met en place le refus de traduction en quoi consiste le refoulement. L’interprétation analytique du rêve n’est donc pas plus le rêve que le rêve n’est l’inconscient.

9  Freud, L’interprétation des rêves, Paris, PUF, 1973, p. 431, n. 1 (SA, II, 486).

14L’interprétation des rêves a elle-même induit cette confusion. En se présentant comme un catalogue de rébus, de textes à déchiffrer, ce livre fondateur a pu paraître cautionner la théorie du double discours, si bien que dans une note rajoutée en 1925 à la septième édition de son ouvrage, Freud a dû faire une mise au point pour préciser qu’avant la Traumdeutung on avait confondu le rêve avec son contenu manifeste et que depuis sa publication certains analystes étaient tombés dans l’erreur inverse en le confondant avec son contenu latent, alors que le rêve était avant tout le travail du rêve9. Ce rappel à l’ordre signifie que le rêve ne se réduit à aucun texte manifeste ou latent dont l’interprétation délivrerait au sujet une vérité de lui-même insue. Ce principe remet, du coup, à l’ordre du jour certaines évidences relatives à l’entreprise analytique qui sont souvent occultées par la force de l’habitude.

10  Ibid., p. 431 (SA, II, 486).

15À lire les relations de cas que nous a laissées Freud, on découvre que l’espace analytique est toujours exposé au danger d’instaurer entre l’analyste et l’analysant une communauté de travail œuvrant au bénéfice du moi. Lorsqu’elle fonctionne comme une traduction, l’interprétation analytique du rêve met ce phénomène en évidence. En établissant la cohérence du Wunsch inconscient, c’est-à-dire en mettant de la signification là où le rêve est porteur d’une pure signifiance, l’interprétation analytique rattrape le rêve au collet et le fait passer avec armes et bagages dans l’espace du moi pour élaborer un discours (le contenu latent) que rien ne distingue, dès lors, structuralement du contenu manifeste du rêve et dont les pensées, une fois reconstituées, s’avèrent aussi cohérentes que celles du moi10. Ce qui est normal, puisqu’elles ont été construites dans le lieu de ce dernier. Le rêve n’est plus à ce moment-là l’expression du langage en acte : du seul fait qu’il est devenu objet de partage entre l’analysant et l’analyste, il fait désormais partie de la réalité qui se définit précisément du partage qui la constitue. Certes, le rêve reste et restera toujours une voie vers l’inconscient dont il faut savoir toutefois qu’elle est frayée à travers l’espace du préconscient, c’est-à-dire du moi. Ainsi l’analyse n’a-t-elle jamais affaire au rêve en tant que tel, mais seulement au rêve « converti » au moi. L’inconscient, en tant que tel, n’a aucun lieu pour se dire. Pour prendre la mesure de ce principe, il suffit d’imaginer ce qu’il en serait d’une partition de la Neuvième Symphonie, retrouvée quelques millénaires après une catastrophe atomique par une humanité de mutants privés du sens de l’ouïe qui découvriraient de purs signes symboliques sans signification, inintégrables à leur réalité.

16Ainsi la Traumdeutung, qui inaugure l’épopée créatrice de Freud, rejoint-elle naturellement le Moïse avec lequel le vieux lion mit fin à son aventure sur la question, éludée par la pensée philosophique, qui met en jeu l’essence de la condition humaine : savoir si le sujet se fonde d’un certain nombre de significations que délivrerait la cure à son terme sous la forme d’un : « Tu es cela », ou si en ce point il est confronté au « signe privé de sens » (ein deutungslos Zeichen), selon la parole d’Hölderlin que nous retrouvons donc aujourd’hui en fin de partie.

Universalité du fantasme fondamental


Richard Abibon

Ça fait longtemps que j’ai compris que mon fantasme fondamental, c’était niquerma mère pour la féconder de moi-même. C’est ce que j’ai appelé l’Œdipe archaïque, là où l’Œdipe rejoint la scène primitive. Je l’ai retrouvé chez quelques analysants. Ça me donne uneassise raisonnable pour penser l’universalité du phénomène.

Ça fait longtemps que j’ai trouvé dans la mythologie chrétienne la même structure que l’Œdipe. Il s’agit de la lutte entre le père et le fils. Ça commence par le meurtre du fils, ratéavec Isaac, réussi avec Jésus. La différence d’avec l’Œdipe, c’est que ce n’est pas le fils qui gagne, c’est le père.

Ça fait longtemps que j’ai trouvé dans l’histoire de Ganesh ( http://une- psychanalyse.com/Nepal_mythologies.pdf) un autre avatar de celle d’Œdipe, dans celle deKrishna une autre version de celle de Jésus.

C’est en revenant réfléchir sur ce dernier mythe que j’ai tout d’un coup compris lacorrespondance entre ces mythes et, non seulement mon Œdipe « classique », mais aussi mon fantasme fondamental. Pour délivrer le pays de Mathura, en proie à la cruauté d’un tyran, Vishnou choisit de s’envoyer sur terre via le ventre d’une femme qui accouchera de Krishna.Ce dernier est donc à la fois le père (Vishnou) et le fils (Krishna). On dit : un avatar de Vishnou. Comme dans la mythologie chrétienne. Comme dans mon fantasme.

Que ces histoires présentent structure commune dans des pays si différents en occident et en orient donne argument à l’universalité de ce fantasme. Si des millions de gens y croient malgré l’étrangeté de la chose, c’est bien qu’ils doivent y reconnaitre quelque chose quileur parle, quelque chose présent en eux à leur insu.

Toutes les civilisations ont leurs histoires de naissances miraculeuses. On peut toutes plus ou moins les rapporter à ce schéma fondamental. V oir : https://en.wikipedia.org/wiki/Miraculous_births

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Texte alternatif Lorem

Épisode 26 – Le contenu de l’inconscient


ls signifiant n’est pas l’essentiel de l’inconscient. Au contraire il y est plutôt rare. L’inconscient contient, comme le disait Freud, essentiellement des représentations de choses, et parfois quelques représentations de mot. L’inconscient n’accompagne pas toutes les paroles du sujet, quoiqu’il dise, mais seulement lorsqu’il accepte de parler de lui. Certes le lapsus est un surgissement de l’inconscient dans le discours courant, mais reste aussi rare que le signifiant dans le rêve. Et si le locuteur ne prend pas en compte ce lapsus… c’est comme si l’inconscient ne s’était pas manifesté. et il ne se manifeste certainement pas lorsqu’on parle de philosophie, de mathématiques, ou de la liste des commissions .

on trouvera mes autres vidéos sur Youtube : https://www.youtube.com/user/abibonrichard/videos?view_as=subscriber

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